“Barbara”, film vertigineux pour chanteuse capiteuse

“Barbara”, film vertigineux pour chanteuse capiteuse

Ode à la chanson, mise en abîme d’une comédienne qui interprète une chanteuse, mise en abîme de la relation Balibar-Amalric, déclaration d’amour d’un réalisateur-fan à la grande Dame Brune, “Barbara” est un film à part.

Dans le long métrage qu’il met en scène, Mathieu Amalric joue le rôle d’un réalisateur de cinéma qui est fan de Barbara, qui l’a rencontrée et tourne un film sur elle. Jeanne Balibar est Brigitte, la comédienne qui joue Barbara. A la ville, elle a été la compagne d’Amalric.

La ressemblance entre Balibar et la chanteuse de minuit est telle qu’on se demande pourquoi ce film n’a pas été tourné il y a dix ou quinze ans déjà. C’est un objet rare : comme dans “La nuit américaine” de Truffaut, on  voit un film se fabriquer : les cadreurs, les scripts, les accessoiristes sont là.

Mais au contraire du film de Truffaut, où on continue à voir jusqu’au bout un tournage, avec le scénario qu’on filme et que Truffaut revoit chaque jour à cause ses contingences. Mais le spectateur fait toujours la distinction entre la fiction qui se tourne et le tournage lui-même, peu à peu chez Amalric, tout se brouille avec bonheur : sur cette image, mais oui, c’est bien elle, la vraie Barbara (Amalric inclut des plans de deux documents réels), et puis dans le plan suivant on reconnait le sourire de Balibar, et l’on est emporté dans ce qui ressemble à de vraies images d’archives.

Barbara vit la nuit, elle engueule son assistante, est maternelle avec les techniciens qui montent les projecteurs (elle leur offre des gants pour qu’ils ne se brûlent pas). Son impresario Charley Marouani est obligé de lui faire réduire son train de vie, quand les impôts lui réclament des arriérés. Plus tard, elle jardine dans sa maison de Précy, écrit ses mémoires, qu’elle faxe, page après page, répond à des malades du sida, donne des concerts volontairement confidentiels dans les prisons… et c’est déjà la fin. Le film a passé comme un songe.

On regarde la liste des chansons défiler, et le nombre est impressionnant : à aucun moment, on a eu l’impression d’assister à un catalogue des tubes. On a juste vu Barbara vivre, aimer, s’emporter, composer, chanter… Au contraire de certains biopic, comme “Cloclo”, qui déroulent un fil chronologique, “Barbara” est une évocation. Après avoir regardé “Un jour un destin”, on a l’impression de se faire arnaquer avec notre redevance, car il s’agit d’une mise en images (certes réussie) de la fiche Wikipedia de la chanteuse. Pas chez Amalric.

En littérature, on dit que les bons traducteurs savent restituer la petite musique d’un auteur, en ne traduisant pas les mots à la lettre mas dans l’esprit. De meme, Amalric signe un long métrage “à la manière” de Barbara : sensible, mélancolique, touchant et attachant. Si Amalric et Balibar et ne sont plus un couple à la ville depuis des années, le réalisateur offre néanmoins là une belle preuve d’amour à la comédienne qui a partagé sa vie : le film repose entièrement sur elle, et son talent explose 24 fois par seconde.

*****

“Barbara” de Mathieu Amalric (2017), avec Jeanne Balibar, Vincent Peirani, Aurore Clément, Pierre Michon.

Jean-Marc Grosdemouge