E.S.T. : carrément à l’E.S.T.

E.S.T. : carrément à l’E.S.T.

   En latin, le viatique est le baluchon que l’on prend pour partir en voyage. “Viaticum”, le nouvel album du trio suédois, est en tout cas l’occasion pour son leader, Esbjörn Svensson, de voyager pour les besoins de la promo.

   C’est en chaussettes et en jean, à la coule, que le pianiste reçoit les journalistes en cette matinée de décembre, dans une suite d’un hôtel proche de la Bastille. La poignée de main est cordiale, le sourire est franc, et l’élocution… aussi limpide que la musique dont il est question. Et quand, au démarrage, la technique de mon micro fait défaut, c’est monsieur qui me conseille… Propos recueillis par Jean-Marc Grosdemouge

Epiphanies : L’an passé, j’ai beaucoup aimé “Shining on you”, l’album de Viktoria Tolstoy sur lequel tu as travaillé. J’ai pensé que ton prochain album personnel serait une collection de popsongs. Mais ce n’est pas le cas. As-tu déjà pensé à ajouter des voix à la musique du trio ?

ES : Non pas cette fois. J’ai encore beaucoup de choses à dire à travers le trio. Faire des popsongs, c’est autre chose. Peut-être que ça se produira un jour.

Si ça se faisait, qui choisirais-tu ? Josh Haden ? Il participait à l’album “Seven days of falling”…

Oui, Josh ce serait bien. Des gens comme K.D. Lang ou Björk, ce serait bien. Bono aussi (rire). Chaka Khan ! Je ne suis pas sûr qu’on pourrait réunir tout ce monde… (sourire)

Le nom de ce nouvel album “Viaticum”, signifie “extrême onction” en latin, c’est à dire le sacrement qu’on fait aux mourants.

Oui, ça a une signification religieuse. C’est aussi un présent qu’on fait aux gens qui partent pour un long voyage : de la nourriture, de l’eau ou de l’argent. Pour nous, ça a plutôt à voir avec la vie. La vie est un voyage. Tout le monde a besoin d’un viatique pour ce voyage. C’est une nourriture spirituelle qu’on veut donner à tous.

J’ai fait un peu de latin pendant mes études, et c’est un peu à ce sens-là que j’ai pensé en premier. Donc c’est de la nourriture musicale pour les auditeurs ?

Il faut remplir la vie de jolies choses. J’espère que “Viaticum” fait partie de ces choses avec lesquelles les gens peuvent partir.

Tu es très porté sur les titres étranges. Dans le passé, on a lu des titres comme “From Gagarin’s point of view”, “Serenade for the renegade” ou “When God created the coffeebreak”. C’est une manière de donner un indice à l’auditeur, pour faire démarrer son imagination ?

Exactement. Il n’y a pas de manière particulière de comprendre nos morceaux, ni bonne ni mauvaise façon. A chacun de se faire sa propre idée, c’est ça le principe de base. Au sein du trio, on en discute des titres, et de ce que ça nous évoque. On a quelques idées là-dessus. Mais les tiennes ou celles d’un autre peuvent être différentes...

Et tu préfères ne pas trop expliquer ?

Si, je peux. La signification de “Viaticum”, j’en parle sans problème. Mais je peux auss, par exemple, te parler de celle du titre “The unstable table and the infamous fable” (traduisez : “la table instable et la fable infâme”, un titre du dernier album, NDR). La table, c’est une métaphore du monde, qui est très instable en ce moment. C’est plein de trépidations, il y a pas mal de choses qui inquiètent les gens, des tensions religieuses, la guerre USA-Irak. “Infamous fable”, ça fait référence aux gens qui ont le pouvoir.

Votre musique est un îlot de calme dans un monde agité ?

Cela se pourrait. On pourrait s’en servir comme ça.

Tu as utilisé le mot de “trépidation”. C’est l’une des caractéristiques de votre musique : elle est pleine de trépidations. L’album “Strange place for snow” par exemple, comportait de nombreux morceaux qui montent en intensité et atteignent un paroxysme. Mais ce nouvel album semble plus calme…

(marque un temps d’arrêt) le nouveau ?

Oui

(pensif) OK. Je ne sais pas vraiment. (rire) On essaie juste de jouer du mieux qu’on peut. Mais ce n’est pas faux ce que tu dis, c’est un peu plus calme, oui.

C’est quelque chose qui a été décidé préalablement ?

Non. Quand nous rentrons en studio avec de nouvelles compositions, c’est pour jouer le plus possible tous ensemble et du mieux qu’on peut.

 

Jean-Marc Grosdemouge