Florent Marchet et Ridan : le bonheur est dans le pré

Florent Marchet et Ridan : le bonheur est dans le pré

   Après avoir écouté “Le rêve ou la vie” et “Gargilesse”, on avait envie de rencontrer leurs auteurs respectifs. Et puis comme certains de leurs thèmes les rapprochaient, on a pensé les faire se rencontrer.

   Il faut dire que Florent et Nadir (le vrai prénom de Ridan) ont chacun écrit une chanson politique : “J’vis dans un piège à con tout entouré de sentinelles” chante Ridan, tandis que Marchet s’adresse à un ancien camarade de classe devenu électeur UMP dans “Levallois”. Ainsi donc, la proposition a été faite à Barclay et Epic. Florent à écouté “Le rêve ou la vie” et Ridan “Gargilesse”. Après des dizaines d’échanges de mails entre les attachés de presse de Sony, ceux d’Universal et la rédaction, le rendez-vous fut pris. Florent Marchet (dont on constatera qu’il aurait fait un bon journaliste tant il est curieux et sait poser les bonnes questions) s’est donc rendu au Café de la Danse, où se produisait Ridan. Après les balances de ce dernier, les deux artistes se sont posés sur un canapé. J’ai branché l’enregistreur, et je n’ai presque pas eu à relancer la conversation. Si vous vous demandez “Quand un artiste rencontre un autre artiste, qu’est-ce qu’ils se racontent ?” Des histoires d’artistes bien sûr : on parle de la campagne, de studios d’enregistrement (et de la manière de les éviter), de chansons, de scène, et de majors du disque. Propos recueillis par Jean-Marc Grosdemouge

Epiphanies : La raison pour laquelle je voulais que vous vous rencontriez, c’est que vos albums respectifs m’ont touché…

Ridan : On s’est déjà rencontrés.

Florent Marchet : et voilà ! (sourire)

Ridan : On s’est croisés à Massy : on jouait en même temps au festival Les Primeurs de Massy. Donc, voilà, il n’y a plus rien à faire. Merci, salut… (rire)

Qu’est-ce que vous vous êtes raconté ?

Ridan : On s’est rencontrés avant le concert, donc chacun était dans sa préparation.

Floren Marchet : Ce ne sont pas les meilleures conditions pour discuter. Toi, tu te concentres beaucoup ?

Ridan : Grave ! Je suis un vrai migraineux, comme toi. (nos deux amis se sont trouvé se point commun juste avant l’interview, hors micro, NDR)

Florent Marchet : Avant, je m’en foutais. Mais de plus en plus, je me rend compte que c’est bien d’être avec les musiciens avant. Etre avec une bande de copains qui te font rire, ce n’est pas bien.

Ridan : Non, parce que tu rentres dans le concert à la coule, alors qu’un concert, c’est vraiment pas un truc à la coule.

Florent Marchet : C’est une manière un peu lâche d’affronter le trac d’être avec des gens. Autant affronter le trac de face.

Vous avez la même manière d’affronter le trac ?

Ridan : Chez moi, c’est une baston mentale. Avec les musiciens, on a besoin de ressentir l’unité. On est très compact pendant les vingt minutes avant le concert.

Floren Marchet : Nous, on essaie de se tenir, comme une équipe de foot, ça change tout le concert. J’ai testé les deux approches. Quand chacun est de son côté, tu fais un concert pourri.

Ridan : Pour ressentir l’unité sur scène, il faut avoir confiance les uns dans les autres.

Florent Marchet : Il faut mettre en confiance ton équipe. C’est toi qui mène le truc, comme un entraîneur.

Ridan : Pour nous, c’est comme partir à la guerre.

Florent Marchet : Un peu comme de la boxe.

C’est intéressant de vous entendre dire ça, car même si vous vous présentez chacun sous votre nom, il y a un vrai groupe…

Ridan : C’est pas Florent Marchet et ses musiciens, ni Ridan et ses musiciens. Même si on compose un album seul, il y a toujours des intervenants, donc j’ai besoin de retrouver l’équipe de travail, en studio ou sur scène.

Florent Marchet : Sinon, ça fait vieille école. Ça a existé : le chanteur qui arrive après tout le monde. Il y en a même qui font pas de balance. On va dénoncer personne (sourire).

La raison pour laquelle je voulais que vous vous rencontriez, mais en ayant le temps de discuter, c’est que la campagne est importante pour vous. Toi, Florent, tu vis à Montreuil, en banlieue parisienne, mais tu viens du Berry. Toi, Ridan, tu as vécu en région parisienne, mais tu en parles beaucoup…

Ridan : Pour un Parisien, la campagne, c’est la banlieue. Pour moi, c’est pareil : dès que je suis à 100 km de Paris ou que je croise une vache, je suis à la campagne. J’ai un attrait pour la campagne parce qu’il s’en dégage un bien être, l’air semble correct, la convivialité est autre. Les gens se disent bonjour, ce n’est pas l’usine.

Florent Marchet : C’est ça qui est curieux. Je pense qu’on a tous les deux un fantasme de la campagne qui n’est pas dû aux mêmes choses. Pour toi, Ridan, ce n’est pas une madeleine car tu n’as pas vécu la campagne pendant toute ton enfance…

Ridan : Carrément pas !

Florent Marchet : … Pour moi, c’est un peu un paradis perdu, et que j’ai beaucoup associé à l’enfance. Je ne sais pas si j’arriverais à vivre à la campagne maintenant, en fait. Le monde rural n’est pas si idyllique que ça : le rejet de l’autre y est super important.

Les gens qui regardent aux fenêtres, cachés derrière les rideaux…

Florent Marchet : Dans mon village, dès qu’il y a un étranger, et ça peut être quelqu’un qui vient de trente bornes, il y a quelque chose de très violent, un peu western.

Ridan : Je fantasme sur la campagne dans le sens d’être bien chez soi. Ce qui m’intéresse, c’est être tranquille dans une belle maison briarde, faire mon feu de bois, et regarder mes enfants grandir. S’il peuvent grandir avec les murs le plus possible, tant mieux.

Florent Marchet : Quand je suis arrivé à Paris, à chaque fois, mon oeil s’arrêtait à trois mètres. J’avais besoin de l’horizon.

Ridan : Tu as la Tour Eiffel et la Tour Montparnasse, et quelques axes d’où tu peux voir l’horizon. (sourire) Hormis ça, tu te manges toujours un mur en face.

Ou alors il faut aller aux Buttes-Chaumont, mais je suppose que pour toi, Florent, ça ne remplace pas Lignières.

Florent Marchet : Il y a quelque chose d’artificiel là dedans. Mais j’aime bien aller me promener au bois de Vincennes.

Ridan : L’espace, quoi.

Florent Marchet : Oui, l’espace. C’est marrant que tu associes ce besoin d’espace à la campagne. Tu aurais pu l’associer à l’océan.

Ridan : Oui, mais il y a un truc très spirite dans la campagne. A la campagne, parfois on s’emmerde tellement qu’on peut passer plus de temps à réfléchir. Le silence est propice à la réflexion. Il n’y a pas un endroit à Paris où l’on peut avoir un instant de calme.

Florent Marchet : Ça fait cliché, mais le temps parait plus lent, plus long. C’est super agréable, même pour travailler, pour écrire.

Ridan : Tu n’as pas de stress. Pour des migraineux (sourire), le stress, c’est important.

Toi, Florent, tu as enregistré à la campagne. Mais au début, tu as enregistré une première version de l’album, mais ce premier jet n’était pas satisfaisant. Donc tu es parti à Gargilesse.

Florent Marchet : Je fais partie de cette famille de musiciens qui ont appris à faire de la musique en home studio, avec un ordinateur, donc à Bruxelles, je n’avais plus mes marques. Hormis le fait croiser le gens de “Star Académie” le matin au réveil, ce qui ne me met pas de bonne humeur, j’avais envie de me retrouver à la campagne parce que je me suis aperçu que les grands studios, çe ne me correspond pas. C’est luxueux, il y a une piscine, mais ce n’est pas mon truc. J’ai besoin de me préparer le petit déjeuner, de me faire à manger. Je n’aime pas qu’on fasse les choses à ma place. Le fait d’être vissé dans un studio m’a rendu stérile quant à la création. Je me suis retrouvé à la campagne à faire cet album avec François, le guitariste, et on était vraiment bien : on prenait le petit déjeuner sur la terrasse près de la rivière.

Ridan : à la coule, quoi.

Florent Marchet : Oui. On n’avait aucune pression. je n’avais pas l’impression de faire un album à ce moment-là. On faisait comme avant, comme à la maison. Je ne sais pas comment tu l’as vécu, toi ?

Ridan : Pareil. J’ai évité le studio Plus XXX (un studio réputé, NDR) à Paris. (sourire)

Tu étais où, toi ?

Ridan : J’ai tout fait à la maison, à Saint Thibaut les Vignes, à quarante bornes d’Eurodisney. C’était une condition sine qua non pour faire l’album : j’ai été producteur donc je n’ai pas de mal à me retrouver en studio. Mais y travailler, moi, pour écrire ou composer, ça m’emmerde. Un studio, c’est un espace trop confiné pour ma réflexion. Elle a besoin d’aller plus loin que les deux mètres cinquante qu’on a en studio. J’ai demandé à avoir une maison pendant un an et demi, dans laquelle j’ai pris mes machines. On a aussi apporté d’autres machines, on a fait un studio là, et on a débroussaillé le terrain : on a fait de la musique, du foot, des barbecues.

Florent Marchet : C’est ça qui donne une identité au son. On n’est pas dans un truc standardisé. Je pense que les grands studios servent à ça : standardiser. Si tu veux un son de batterie qui sonne FM, tu vas dans tel endroit, et tu l’as.

Sur l’album “Gargilesse”, tu vas plus loin. On entend les cloches du village, la rivière. A un moment, à la fin d’un morceau, on t’entend même te lever et aller éteindre une machine.

Florent Marchet : J’étais tout seul pour enregistrer mes guitares. A chaque fois, il fallait que je descende l’escalier, et je l’ai gardé. Toutes les heures, les cloches sonnaient et ça m’ennuayait quand je faisais mes voix. Du coup, je me suis dit je les prends.

Ridan : C’est climatique.

Ces cloches, tu as attendu qu’elles sonnent pour commencer le morceau ?

Florent Marchet : Non, je les avais sur bandes, parce qu’un jour, j’ai ouvert la fenêtre à ce moment là.

Même sur scène, tu lances le son de ces cloches avant de commencer “Tous pareils”. Tu ne pourrais plus imaginer ce morceau sans ?

Florent Marchet : C’est un hasard, mais il se trouvait que ces cloches allaient bien avec le balancement de guitare du début, et c’est ça qui est bien quand tu fais les choses chez toi. Tu as le temps de penser à des choses comme ça. En studio, tu es trop concentré sur le morceau.

Ridan : en studio, à Paris, tu cherches la productivité. Ça coûte 15 000 balles par jour, tu as dix heures, donc chaque heure que tu perds est une catastrophe.

Florent Marchet : A la maison, si tu n’as pas d’idée, tu peux très bien te dire que tu ne fais rien pendant trois heures. En studio, tu as l’impression de toujours être obligé de produire : le compteur tourne.

Vous m’expliquez que vous avez chacun eu des exigences par rapport à votre travail. Ce n’est pas dur à négocier avec une major quand on signe un premier album ? Elles prennent un risque financier, et vous leur imposez votre manière de travailler…

Florent Marchet : C’est presque certaines majors qui vont l’imposer. Parce que c’est ce qui donne une identité au projet.

Et ça donne un bon album ?

Florent Marchet : Du moment qu’on écoute les artistes et leurs désirs, on a toutes les chances que l’album soit sincère.

Ridan : C’est clair. Dans ma façon de travailler, il n’y a que le mix que je fais en studio. Quand j’arrive en mix, l’album est lourdement prémixé : j’ai tous mes réglages fais. J’arrive, je pose et je demande à l’ingénieur d’aligner. Je peux passer quatre heures à mixer un titre, donc en quarante heures, l’album est fini. Le travail fait à la maison est particulier. On ne peut plus se permettre d’envoyer un artiste à Plus XXX en pensant qu’en quinze jours, il va avoir des prises de voix redoutables. C’est valable pour des interprètes, à qui l’on donne les chansons, qui les apprend par coeur et fait ses prises de voix puis rentre chez lui. Après, c’est retravaillé par l’ingénieur du son. Toi comme moi on ne peut pas bosser comme ça : il faut qu’on soit présent à 200% sur le projet, de la première note au dernier mouvement de fader du mix. Il faut être là, valider tout en permanence. C’est une exigence qui est justifiée, car en fin de course, c’est nous qui allons vendre l’album, qui allons être exposés. Il faut être pointilleux : ça demande des connaissances en dehors de l’écriture et de la composition.

Florent Marchet : Un artiste se doit de s’y connaître un minimum en marketing, de savoir ce qui se passe derrière pour que l’identité soit là, que l’album lui ressemble. Je ne me verrais pas défendre un album en me disant “à tel moment, j’ai fait un compromis là-dessus”.

Ridan : Pour te paraphraser, je dirais que l’artiste doit être son propre gérant d’art. Il gère son art. C’est important d’être épaulé par quelqu’un : un agent ou un manager, mais le premier vendeur de l’album reste l’artiste. Il faut qu’il assume tout cet album, et pour ça il faut qu’il ait un droit de regard sur la stratégie qui sera utilisée, surtout quand on sait qu’aujourd’hui que les médias peuvent amener un album dans le mur juste à cause de l’incompréhension d’un directeur marketing. Il faut tout gérer, tout checker. Il faut des “bon à tirer” tout le temps, valider les photos, être d’accord avec tout.

Florent Marchet : Moi, aucune photo ne part sans mon accord.

Cela semble assez paradoxal que deux artistes qui ont un regard critique sur la marchandisation ne vont pas choisir de ne pas mettre les nez dans les coulisses et le marketing, mais au contraire vont mettre les mains dans le cambouis…

Ridan : Pour se préserver !

Florent Marchet : Pour ne pas devenir n’importe quel produit. Justement, on a conscience qu’un album ça se vend, qu’il y a un système économique qui est réel, mais on a pas envie de manipulation.

Il faut donc arriver en ayant des idées très fortes et en disant “je contrôle” ?

Ridan : Il ne faut pas dire “je contrôle”, ça ferme les oreilles. (sourire) Ca c’est une réflexion marketing : arriver en disant ça, c’est le meilleur moyen pour ne rien contrôler. Il vaut mieux dire “d’un commun accord”. C’est presque contractuel : il ne faut pas oublier que toi, entité artiste, est face à des équipes de vingt ou trente personnes. Tu ne peux pas obtenir l’unanimité. Il faut imposer. Un peu comme quand on fait un album. Moi, j’ai vendu l’album chez Sony en ayant fait un titre de maquettes. Les mecs m’ont demandé ce que seraient les autres titres, mais je n’en savais rien. J’ai signé en 2000.

Quatre ans de travail avant la sortie…

Ridan : J’ai passé deux bonnes années sur moi, pour savoir ce que je voulais faire.

Florent Marchet : Tu as eu de la chance, c’est rare !

Ridan : C’est vrai.

Florent Marchet : C’est rare de laisser du temps à un artiste pour explorer son univers…

Ils auraient pu exiger beaucoup plus vite un produit fini ?

Ridan : Ils auraient pu exiger un album au bout de six mois. Il le font très souvent.

Florent Marchet : Ce n’est pas l’intérêt de l’artiste.

Ridan : C’est vrai. Il y a une introspection à faire quand on crée un album. Je pense que tu seras d’accord avec moi : un album, ce ne sont pas dix chansons. Contractuellement, si. Mais un album, c’est une part de toi. C’est toi, tout simplement. C’est une photocopie de l’artiste à un instant T. Il faut donc prendre le temps de savoir ce qu’on est, s’étudier, y passer du temps.

Florent Marchet : C’est marrant, quand j’écrivais des chansons, je ne pensais ni à la scène ni à l’album. Tu penses au morceau en lui-même. Tu ne vis que pour lui.

Ridan : J’ai découvert la scène après la sortie de l’album. Au départ, j’ai répondu un “non” ferme à la proposition de monter sur scène. Je trouvais ça paradoxal de livrer quelque chose d’intimiste sur disque et de chercher une forme d’équivalence sur scène. Dans un premier temps, j’ai fermé le truc, et après il fallait que je l’ouvre en live. Comment faire les deux ?

Florent Marchet : Tu avais fait un peu de scène avant ?

Ridan : Rien ! La première scène, ça a été le 12 mars à l’Européen.

Florent Marchet : Ça fait flipper quand même ! (rire)

Vous faites tous les deux de la chanson, mais vos influences sont ailleurs. Toi, Ridan, tu viens du rap. Toi, Florent, du classique. En préambule à ta Black Session, tu expliquais à Bernard Lenoir que tes parents t’ont mis au piano. Tu as même dit “je voulais un chien, mais le piano était plus économique en croquettes.” (sourire)

Florent Marchet : J’ai dit ça pour déconner. Le piano a été un peu mon animal de compagnie. Ce ne sont pas mes parents qui m’ont forcé : j’étais très attiré par le piano, mais il se trouve que pour moi, c’était un peu quelqu’un à qui parler pendant l’adolescence, un compagnon.

(Ridan rit)

Le piano est ton ami ? (sourire)

Florent Marchet : Dès que j’avais un coup de blues, je jouais au piano pendant des heures, ça me vidait la tête, ça me faisait du bien.

Tu es venu à la chanson comment ?

Florent Marchet : J’aimais raconter des histoires. Je me souviens : quand j’avais sept ans, j’écrivais de petits scénarios. J’aimais aussi la musique et je trouvais merveilleux de concentrer ça sur trois minutes, en mélangeant paroles et musiques. Une chanson, ça ma toujours fait voyager. Ecouter un titre que tu adores pendant des heures, ça fait partir loin.

Ridan : Ça fixe des images, des souvenirs, des émotions. Quand on a besoin d’une émotion, on sait sur quel album elle se trouve.

Toi, Ridan, tu viens du rap ?

Ridan : Oui et non. Je viens de la poésie. Je voulais être poète quand j’étais môme. (rire) Après, je me suis fait rattraper par l’économie de marché : poète en l’an 2000, ce n’est pas une bonne solution ! (sourire) La suite logique du poète contemporain, c’était le rap, avec un avantage : celui de la spontanéité. La poésie est longuement réfléchie. Le rap, ça se jette comme ça : je prends le mot et je le place là où je veux. Je le gère comme j’en ai envie. C’est un exutoire. J’ai fait du rap pendant dix ans, et parallèlement je voulais être un artiste libre. Normalement, c’est un pléonasme, mais malheureusement, ça ne l’est pas. Pour être artiste libre, il fallait que je me crée un univers financier où je fasse ce que je veux. Donc j’ai monté une boite de production pour produire des compils ou du hip hop. Cela m’a permis de gérer l’alimentaire, tout en disant ce que je voulais, et de pouvoir dire merde aux maisons de disques. Parce que, c’est ma grande passion ! (sourire)

Florent Marchet : Tu as écouté de la chanson ? Tu reprends “Au mont Sans Souci” de Murat…

Tu es fan de Renaud aussi ?

Ridan : J’aime beaucoup cette chanson de Murat tant elle est simple et efficace. Mais j’aime surtout les artistes grincants.

Florent Marchet : Contestataires ?

Ridan : Oui, ceux qui ont la peau dure, les “protest singers” comme on dit aux USA. Du rap, je suis passé à la chanson parce que j’ai ouvert les yeux sur le production. J’ai commencé à produire des artistes de moins en moins hip hop, plus issus de la world music. De fil en aiguille, je me suis fait un délire, et j’ai écrit cette chanson qui dit “Tu veux que je te dise le quotidien d’un Maghrébin quand t’as vingt ans ?”. On l’a proposée aux maisons de disques. Je voulais faire un single. Mon agent m’a dit “il y a une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne, c’est que tu enregistreras “Le quotidien”. La mauvaise, c’est qu’il faudra faire quatre albums”.

Tu as signé pour quatre albums ?

Florent Marchet : Comme moi.

Ridan : Pendant un moment, j’ai fait la tête, et on verra…

Toi qui chante le quotidien d’un Maghrébin, tu as l’impression qu’on est obligé de passer par la chanson ? Ce que tu avais à dire là, tu n’aurais pas pu le dire au plus grand nombre par le rap ? Là, tu a accès aux médias généralistes…

Ridan : Déjà, en rap, tu as une radio, LA radio. Il n’y en a pas d’autres : Skyrock, et basta !

En plus, elle ne passe que ce qui lui plait c’est à dire des trucs sans message et sans scratch.

Ridan : Non, Skyrock ne passe pas ce qui lui plaît, mais ce qui se vend et qui est issu de la grosse industrie. Ils ouvrent une grosse vanne et ça dégueule du rap. Du rap bidon en plus ! Dès qu’ils ont besoin d’un tube, ils ouvrent la vanne : “tiens c’est Tragédie ? OK on y va”. Après il y en a 50 000 comme ça. Le public du rap ne s’intéresse pas aux thématiques que je peux aborder. Et puis avec le phrasé rap, ce n’est pas facile d’accéder aux oreilles des gens de quarante ans ou plus. Or, parfois, j’adresse des messages à mon père. La chanson n’est que l’enveloppe de ce que je veux dire.

Florent Marchet : C’est un moyen d’être compris. Et c’est ce qui est le plus dur, être compris.

 

Jean-Marc Grosdemouge