Florent Marchet : L'homme de Rio Baril

Florent Marchet : L'homme de Rio Baril

     Après “Gargilesse”, le Berrichon Florent Marchet a créé de toute pièce un village pour en faire le décor de la chute cruelle d’un homme moderne en proie au désespoir de notre siècle. Florent Marchet a bien voulu jouer les guides pour nous : dans Rio Baril d’abord, dans les arcanes de la création ensuite. Propos recueillis par Jean-Marc Grosdemouge

Florent Marchet : Je suis parti dans le Berry, à huit kilomètres de mon village, pas loin de Lignères. J’ai loué une maison pendant six mois, je l’ai transformée en studio. On a enregistré à la maison avec Erik Arnaud. Je ne suis pas retourné à Paris pendant sept mois où j’ai écrit, composé, arrangé. Mis à part l’orchestre symphonique, enregistré à Sofia pour des raisons bassement financières (sourire), tout a été enregistré là. Mais le mixage a été fait à Los Angeles.

Epiphanies : Entendre un orchestre de plus de quarante personnes jouer ta musique, ça a du être une sacrée émotion ?

Au départ, cela a plus été une appréhension. Sur le premier album, je ne m’étais pas autorisé à arranger, alors qu’écrire pour les autres instruments est une chose que j’aime beaucoup. Ca fait peur de se dire qu’on va mobiliser autant de gens, c’est une économie car il faut les payer. On a toujours peur que tout le monde trouve ça nul, que ça n’aille pas. C’est comme quand un auteur de théatre qui a écrit une pièce entend son texte pour la première fois dit par d’autres. L’épreuve est là : avant c’est sur le papier, on a l’impression que ça fonctione, c’est ce qu’on a voulu exprimer, mais rien ne dit que ça va fonctionner dans la réalisation.

Le producteur à Los angeles piur le mixage c’est Ryan Boesch, qui a travaillé avec Eels ?

Erik Arnaud et moi savions qu’il n’allait pas dénaturer notre son. L’idée c’est que l’on est partis même en terme de matériel, avec des choses très précises, qu’on n’aurait pas trouvées dans des studios français : un matériel utilisé pour la pop folk américaine, avec des sons très punchy, très secs comme chez Eels. On voulait quelque chose de très organique dans les sons, que ça ne fasse pas grosse production froide. On voulait sentir le bois des instruments et donc on enregistré avec un matériel-type. On ne voulait justement pas que tout ça soit dénaturé. Il fallait juste optimiser ce qu’on avait fait et il se trouve que Ryan, qui a 32 ans, travaille comme dans les années 70 : il suit le niveau ds instruments afin de créer une dynamique. Donc derrière une console, on dirait un danseur, c’est élégant, c’est beau. Il ne rajoute pas beaucoup d’effets : il n’y a pas de reverb’ sur la voix, elle est très naturelle. On voulait que tout soit brut, naturel.

Sur le précédent album, tu attaquais avec “Levallois”, la ville-type bobo alors que sur “Rio Baril”, tu crées ce village archétype du village de province. J’ai l’impression qu’on connait tous un Rio Baril…

C’est la somme de toutes les petites provinces que j’ai pu habiter mais que j’ai pu visiter aussi, parce qu’ j’ai beaucoup bougé avec les concerts. En plus, pendant longtemps j’ai passé mes vacances dans des petites villes de France, j’aime bien. L’idée était de créer une atmosphère assez chabrolienne. Ce qui m’intéresse dans une petite ville, c’est justement l’effet loupe : les personnages sont extrêmement à découvert. Il n’y a pas d’anonymat, donc c’est un peu comme les personnages de westerns. Ca m’a fasciné parce que c’était le meilleur théatre pour une histoire : le personnage ne peut pas cacher sa douleur, s’en dévêtir, donc il est obligé de fuir, et pour moi c’était l’idée que je me fais d’un western : un personnage qui part avec sa douleur profonde, avec un mystère, et qui revient sur le lieu de ce mystère pour en découdre, pour laisser éclore sa douleur et basculer.

Il y a toujours une quête dans un western…

Oui, et le fait de basculer, qu’il y ait dans la vie quelque chose d’évenementiel, ça me fascine.

c’est le principe du fait divers : un surgissement de l’aléa dans un espace où il ne se passe rien, puisque la vie est rythmée par le banal, les kermesses deux fois l’an, l’absence d’événement.

C’est comme s’il ne se passait rien, mais en fait on ne voit pas ce qui se passe. Tout est en sous-couche. Les personnages passent leur temps à cacher leur douleur, pour ne pas être à découvert, du fait de l’absence d’anonymat. Et tout est décuplé.

C’est ce que l’on comprend dans le dernier titre : le personnage central de “Rio Baril” est quelqu’un qui a cumulé une somme de frustration et finit par péter un plomb…

Il n’a pas trouvé la manière de s’épanouir, de se guérir, de se désinfecter de cette douleur qui lui collait. Il n’a peut être pas fait les bonnes rencontres. Et puis on n’est pas dans une société qui nous aide à guérir de nos douleurs. Beaucoup ont cette sorte de maladie des pays riches…

Les gens s’ennuient ?

Voilà. Ce qui m’a fasciné aussi, c’est suivre le parcours psychologique de mon personnage en gardant toujours la part de mystère.

D’abord, on ne connait pas son nom. Puis parfois c’est lui qui parle, parfois d’autres…

L’idée c’était de se revêtir de l’habit de conteur en faisant un peu toutes les voix. cela aurait pu êtré intérssanty de faire chanter la voix de la mère par quelqu’un d’autre, mais bon comme contractuellement ça doit être un album de moi (rire). C’est toujours plus compliqué de faire les choses à plusieurs, ça prend plus de temps.

Tu aurais aimé faire quelque chose comme Olivier Libaux avec “L’héroïne au bain” ?

Ah, oui, ça c’est chouette ! Le problème, c’est que ce genre de projets n’a pas beaucoup d’écho en France. C’est assez casse-gueule.

C’est plus facile de dire “voici l’album de Florent Marchet avec des invités” ?

Dès qu’on brouille un peu les pistes, qu’il y a des collaborations, et pourtant on aime bien ça, ça n’est pas facile. Mais j’ai vraiment voulu réunir une équipe avec l’écrivain Arnaud Cathrine, avec Charles Fréger qui a fait des petits films et des photos. L’atmosphère de Rio Baril est recréée par plusieurs artistes.

Les paroles, c’est toi ?

En majorité. Avec Arnaud, on a co-écrit des titres comme “On a rien vu venir”, qui est la rumeur de la ville, avec les voix d’Arnaud, Dominique A et Jasmine Vegas, “Les bonnes écoles” et “Les Cachets” également. Il m’avait apporté un début de texte qui était en prose. Moi j’avais commencé à écrire en prose et Arnaud m’a proposé ça en se demandant si ça entrerait dans mon univers, est-ce que ça collerait à mon histoire. Il faut dire que je me suis laissé surprendre par mon histoire : au départ, je ne savais pas où allait mon personnage. La Première chanson, c’était “Rio Baril”.

Tu plantais le décor…

Oui. Après j’ai dit “maintenant, j’ai la ville, le personnage quand il plus jeune, la vie de son père, sa mère”, j’ai essayé de creuser, sans trop me poser de question, parce que plus on est analytique, plus on risque de ne plus créer du tout… surtout ne pas se poser de questions, ça stérilise la création. Et puis je ne savais pas comment ça allait avancer. Je me suis retrouvé avec un trou. A un moment donné, mon personnage avait quarante ans. Il n’allait pas spécialement bien, mais pas spécialement mal non plus et j’ai presque écrit la fin de l’histoire avec “Pavillon”. Quelques jours plus tard, Arnaud a apporté le texte des “Cachets”. Je lui ait dit “c’est drôle, c’est un signe, ça veut dire que je ne me suis pas trompé par rapport à ’Pavillon’.” Avec “Les Cachets”, tout découlait. C’est la chimie qui a fait le lien. Après, il était évident qu’il y allait avoir le coup d’éclat du personnage, au centre d’un fait divers. Les faits divers c’est quelque chose qui m’a beaucoup marqué. Je ne regarde pas beaucoup la télé, mais j’aime bien “Faites entrer l’accusé”. Le fait que l’entourage soit souvent dans le déni me parle aussi : on n’aime pas imaginer que nos proches aillent mal et soient susceptibles de péter un plomb. En général, on se rassure beaucoup.

Florent Marchet “Rio Baril”, 1 CD (Barclay/Universal), 2007

photo : Charles Fréger

Jean-Marc Grosdemouge