Jerry Lee Lewis au Bataclan, Paris, lundi 11 octobre 2004

Jerry Lee Lewis au Bataclan, Paris, lundi 11 octobre 2004

A 69 ans, le “Killer” était à Paris pour un concert unique sur la scène du Bataclan. A un tarif proche de ceux pratiqués dans les peep shows (un euro la minute), il offre un set honorable… mais court.

Ce soir, les gens de plus de quarante ou cinquante ans ont rendez-vous avec un souvenir, avec un pionnier du rock’n’roll, un qui a connu le King, qui a même enregistré avec lui (rappelez vous le Million Dollar Quartet). Il n’avait pas été tellement annoncé, ce concert. A part sur France Inter le matin, et dans le “Libération” du jour, sous la plume de Bayon (qui retrace avec verve le personnage “white trash”, atteint de lolitisme et musicalement pas “calcinant d’actualité”), le retour du “Killer” sur une scène parisienne n’a fait que peu de bruit.

Si bien que ce soir, dans le Bataclan paré aux couleurs de Nostalgie (c’est la première fois que j’assiste à un concert parrainé par cette radio), la moyenne d’âge est un peu élevée. On n’est pas à l’Olympia, salle nickel des grands boulevards, mais dans une salle du onzième qui a bien vécu. Il y a beaucoup moins de “peoples” qu’au concert de Brian Wilson. Je repère juste le visage de Christian Eudeline dans la fosse, et au balcon, l’arrivée d’Eddy Mitchell est remarquée. Autre différence : on croise beaucoup de gens dont le look trahit l’amour du rock. Quelques jolies filles, mais pas de minettes. A croire que la réputation de Jerry Lee effraie les jeunes femmes.

A 20 h 30, les lumières s’éteignent, et un trio de jazz manouche essaie de faire passer le temps avec des hommages à Sacha Distel et des reprises de Django. Une demie-heure plus tard, ils quittent la scène, et après une petite attente, apparaît le groupe : un batteur, un clavier, un bassiste et le guitariste Kenneth Lovelace, avec son petit costume noir, ses cheveux frisés comme une mouton, et son petit pendentif qui brille de mille feux autour de son cou.

Le groupe interprète deux chansons en solo, puis apparaît Jerry Lee. On l’imaginait plus gros, mais sa silhouette n’a pas vraiment changé. En revanche, il est voûté, et sa démarche semble douloureuse. Heureusement, quand il est à son clavier, son jeu est toujours aussi fougueux. Sa voix a toujours ses hoquets si particuliers. Il y a quinze ans, comme on peut le voir sur le DVD “Legends of Rock’ n’ Roll” (voir notre article), Jerry Lee pouvait coller une pièce de monnaie sur son front mouillé de sueur à la fin d’une prestation. Aujourd’hui, il a un ventilaleur près de lui, qui soulève quelques mèches de ses cheveux pendant tout le concert.

A Toulouse, dont le maire est Philippe Douste-Blaszy, selon nos confrères de Foutraque.com, terme d’un concert de seulement vingt minutes, on a ironisé sur les brumisateurs. A Paris, Jerry Lee enchaîne les boogies, une reprise de “Georgia on my mind” et tout un tas de titres que mon jeune âge ne me permet pas de vous citer. Ah, enfin ! en voici deux que je connais bien : “Whole lotta shakin’ going on” et “Great balls of fire”. Et puis… plus rien. Jerry Lee s’est levé. Une clameur s’est élevée.

On a pensé qu’un titre ou deux avaient été prévus au rappel. Mais non, Kenneth Lovelace a pris toutes ses affaires, et tout le Bataclan a été rallumé. On a donc fait demi tour vers la sortie, copieusement insultés au passage par un pilier de bar qui a nous a traîtés de “veaux” et de “moutons”. “C’est la dernière fois que vous le voyez, rappelez-le !” s’époumonait-il. Mais nous, qui n’étions pas saôuls, avions bien compris que Jerry Lee joue le minimum syndical. Et puis ce mec a 69 ans, bordel !

Dites à un instituteur en retraite de reprendre du service face aux mioches, dites à un tourneur-fraiseur de se remettre à sa machine, et vous allez vous faire rembarrer sévère. Je n’ai rien contre les instits (c’était le métier de ma Maman) ni contre les tourneurs-fraiseurs (c’était celui de mon Papa). A son âge, Jerry Lee Lewis n’est pas complètement décati et assure encore une heure de concert fort honorable… à un tarif de peep show : un euro la minute. C’est à prendre ou à laisser… personnellement, je suis célibataire. Trêve de plaisanterie, la fin aura un ton plus grave. Parce qu’on a dit de Jerry Lee qu’il EST le rock. Alors, préparez vos mouchoirs, au cas où.

Jean-Marc Grosdemouge

 

Jean-Marc Grosdemouge