The Beach Boys "Pet Sounds"

The Beach Boys "Pet Sounds"

Comme le rappelaient “les Inrockuptibles” en 1992, les Beach Boys n’ont rien pour passer à la postérité : ils “ont toujours été démodés. Pas de mythologie, pas d’identification possible, rien d’existentiel qui fasse rêver : leurs photos étaient idiotes, leurs pochettes de disques moches ou anodines”. Ajoutez à cela que la plupart des gens nés après 1975 les ont découverts avec l’exécrable chanson “Kokomo” et un clip ridicule au moment de la sortie du film “Cocktail” et l’on comprend de suite pourquoi “Pet Sounds” est connu d’une poignée de connaisseurs, bien qu’il soit bourré de qualités.

 61uRpzy5nfLPour tout dire, “Pet Sounds” est un chef d’oeuvre. Qui plus est composé par un garçon sourd d’une oreille, Wilson, qui entend des musiques, des tas de musiques dans sa tête, et bosse dur pour les retranscrire au plus près, n’hésitant pas à passer des heures et des heures en studio.

Avec “Pet Sounds”, tout commence par une histoire de jalousie : celle que Brian Wilson nourrissait à l’endroit de “Rubber Soul” des Fab Four. Il s’attaque donc seul à la composition d’un album, dont les paroles sont signées Tony Asher, mais que Wilson va lui-même produire. Depuis des années, Wilson révère Phil Spector, et le prouve ici, tout en cumulant plus de casquettes que Spector n’en n’a jamais cumulé : compositeur, arrangeur, producteur, et chanteur (sauf par exemple sur “That’s not me”, chantée par Mike Love ou “God only knows”, chantée par son frère Carl). Les autres Beach Boys n’ont pas participé aux parties instrumentales (qui ont nécessité un grand orchestre) mais sont venus à la fin poser leurs voix. Brian Wilson chante, lui, d’une voix qu’il qualifiera plus tard de “féminine”, et d’une voix parfois déchirante, sur le fil (le “I wanna cry” de “You still believe in me”, par exemple).

Avec “Caroline No” (écrite après que sa petite amie ait coupé ses cheveux), “God Only Knows” ou “Wouldn’t it be nice”, Wilson signe de véritables symphonies pop. Les harmonies vocales typiques aux Beach Boys depuis leurs débuts en 1962 (les membres du groupe adoraient les Four Freshmen) ne sont pas absentes. Il n’est pas question de surf, de plage ou de grosses voitures (pas de titre tel que “409” comme sur l’album “Surfin’ safari”), ni d’animaux, mais de relations humaines (“I know perfectly when I’m not where I should be” sur “I know there’s an answer”), de Dieu ou d’amour. Si vous pensez que des bruits de klaxon sont forcément mal venus dans une chanson, écoutez bien la fin de “You still believe in me”. Vous constaterez que quand c’est l’oeuvre d’un génie tel que Brian Wilson, c’est formidable. Après le titre “Caroline no”, on peut entendre un aboiement de chien qui n’est autre que l’animal de Wilson. Voilà qui justifie un titre dont on apprend qu’il a une double signification : “cet album peut être considéré comme le “Pet sounds” de Brian”, c’est-à-dire comme une oeuvre personnelle et pas celle du groupe tout entier.

Il faut dire que Mike Love avait dit de cet album que c’était de la musique “pour les chiens”. Argument que Brian Wilson retourne à son profit : cette musique ne vous plait pas, soit, eh bien je l’assume seul. C’est donc à lui seul que les lauriers reviennent une fois ce disque passé à la postérité. Aujourd’hui encore, ce disque signé Beach Boys mais en réalité assumé par Brian Wilson, est un album qui a marqué des dizaines de musiciens (Prefab Sprout, The High Llamas ou The Boo Radleys pour n’en citer que quelques uns) et de journalistes rock. Dans une interview de Brian Wilson en 1992, Michka Assayas explique qu’il s’est rarement passé plusieurs mois sans qu’il l’écoute. Ceci dit, quand on feuillette son “Dictionnaire du rock” paru chez Bouquins-Laffont, on constate que les Beatles illustrent le volume A à L et les Rolling Stones le volume M à Z. Ce qui confirme les point de vue des “Inrocks” : les Beach Boys, c’est “ce dont on a honte devant ses copains”. Même Mc Cartney (qui en aurait offert un exemplaire à chacun de ses enfants) a adoré “Pet sounds” à sa sortie et les livres d’histoire du rock disent que “Sergent Pepper” lui doit beaucoup. Voilà un juste retour des choses qui, rétrospectivement, devrait calmer la jalousie de Wilson : l’auteur de “Rubber soul” l’admire à son tour. Il n’en fut rien : “Je n’étais pas fait pour cette époque” chante Wilson (“I Just Wasn’t Made For These Times”) avant de mettre la clé sous la porte pendant quelques temps. L’année suivante, épuisé physiquement par des années de drogues et moralement par des années de lutte face à son père, le très autoritaire Murry Wilson (un musicien raté qui battait ses fils), Brian, qui a toujours été très faible psychologiquement, abandonne l’album “Smile” qu’il était en train de préparer. Un album qui devait propulser le groupe encore plus loin : Wilson voulait composer une “symphonie adolescente à Dieu”, mais déjà en studio, les signes de folie sont là : un jour, pour enregistrer le titre “Fire”, il allume un feu de bois dans une corbeille pour que les musiciens, à qui il a demandé de porter des casquettes de pompiers, puissent en sentir la fumée. Un événement va être catalyseur : un jour d’avril 67, Paul McCartney passe au studio et joue “She’s leaving home” au piano à Brian. Toujours dans une sorte de compétition permanente (avec Spector et Mc Cartney notamment), Wilson craque et jette l’éponge. Pour son malheur, dans les années suivantes, Brian tombera dans la dépression (trois ans au lit) puis dans les griffes d’un médecin-artiste raté, le docteur Eugene Landy (d’ailleurs crédité en tant que consultant sur la réédition de l’album en 1990), qui tentera de lui voler une partie de sa fortune, le manipulera, et en fera un pantin pour sortir ses propres albums.

A ce jour, aux côtés de “Smile” (sorti à la rentrée 2004 avec 37 ans de retard), “Pet Sounds” est sans contestation possible la pièce-maîtresse de l’oeuvre des Garçons de la Plage. En tout cas, le disque d’un génie. En voici encore une preuve : en 2000, les disques des Beach Boys sont ressortis sous forme “deux disques sur uneBrian+Wilson+Pet+Sounds+Era+Brian même galette”, ce qui donne un prix sympa, associé à une fâcheuse impression d’acheter de la musique au poids. Un album a échappé à cette opération : “Pet Sounds”.

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The Beach Boys “Pet Sounds”, 1 CD (Capitol/EMI), 1966

Jean-Marc Grosdemouge