Thomas Fersen "Triplex"

Thomas Fersen "Triplex"

Je ne vais pas y aller par quatre chemin pour vous dire le fond de ma pensée. Je suis persuadé que dans trente ans, il y aura des tas d’écoles et de collèges Thomas Fersen un peu partout en France, comme il y a des collèges Georges Brassens ou Jacques Brel. Pour moi, l’affaire est entendue. A tel point que je me demande pourquoi on ne commence pas tout de suite à débaptiser quelques LEP ou quelques lycées en l’honneur de ce grand de la chanson. Mais il a au moins droit à un triple live.

Jacques Prévert a donné son nom à pas mal d’établissements scolaires. Or, il y a du Prévert chez ce chanteur. Et pas seulement parce que Thomas Fersen reprenait un texte du poète sur son premier album en 1993. Mais parce qu’il y a de la joie pure et une agréable mélancolie parfois dans ses textes. De la tristesse parfois, mais il faut l’entendre mettre le feu à une salle avec “Bella Ciao”, une chanson appréciée des anars, rythmer la tzigane avec “La chauve-souris”, gratter du ukulélé sur “Bijou”, esquisser un cha cha sur “Les papillons”, ou s’envoler pour l’Orient sur “Marie des Guérites”.

Toutes les ambiances y passent, et Fersen nous fait voyager de sonorités exotiques en sonorités tahitiennes, tout en circonscrivant son univers à quelques thèmes éternel : amour, chagrin, poésie du ruisseau. Et les animaux bien sûr : les oiseaux (et leur “bal”), “Le moucheron”, “Bucéphale” le canasson, “La blatte”, le Lion (et ses “malheurs”). Fersen, lui, est une sorte d’échassier élégant, dans son costume rayé, qui virevolte et exulte sur scène, lui si timide dans la vie…

J’ai pu voir Fersen chanter à la fête de Lutte Ouvrière en 1998. C’est qu’il y a du Populaire (au sens noble du terme) chez ce citoyen là. Il y a aussi de l’humour chez ce titi du onzième arrondissement de Paris. Le concert enregistré au Cabaret à Montréal est irrésistible de drôlerie : pour présenter “Je suis dev’nue la bonne”, il dit : “j’ai écrit cette chanson après avoir fait le ménage”. Une femme du public s’écrie : “merci” ! “J’l’ai pas fait chez vous”, lui répond-il du tac au tac. Puis pour présenter son accordéoniste Alexandre Barcelone, “le rossignol de Santander”, il se décrit allongé sur son lit, dans sa chambre d’hôtel, regardant Julie Snyder à la télévision. Et sur le final de “Dugenou” (l’histoire d’un homme falot, que personne ne remarque, qui, la nuit venue, rêve qu’on lui dit des mots doux), il invite le public à lui crier “Ma colombe, mon p’tit lu, mon loukoum, ma fée.”

C’est tout Fersen, ça : il se plaît à rapprocher le très français Petit Lu et le loukoum, qu’il prend un malin plaisir à décrire d’une voix goguenarde comme une “pâtisserie orientale, cubique, molle, parfumée au jasmin, terriblement aphrodisiaque” par Fersen, qui jubile en appuyant sur cette dernière qualité. Cela peut paraître rien du tout, mais c’est à ce genre de détails que l’on reconnaît la “patte” des grands auteurs : la façon dont un mot, bien placé, bien utilisé, peut frapper les esprits. Qu’il s’agisse de loukoum ou non, de manière générale, Fersen travaille au téléobjectif : il zoome sur un détail pour le rendre poétique. Ses chansons ont le raffinement des miniatures finement ouvragées, mais à la différence des livres enluminés qui ne quittent jamais les cabinets de curiosité, les oeuvres de Fersen se partagent à merveille avec le plus grand nombre.

fersen triplex

****

Thomas Fersen “Triplex”, 3 CD (Tôt ou Tard/Warner) 2001

Jean-Marc Grosdemouge