Eliane Girard et Brigitte Kernel "Fan attitude"
Brigitte Kernel anime chaque dimanche soir “Noctiluque” sur France Inter. Une émission qui a une rubrique phare (outre le cadavre exquis) : le “fanclubbing.” Un livre reprend les meilleurs propos tenus à l’antenne par lesdits fans.
Ce livre édifiant reprend des propos tenus par des fans à propos de leur artistes préférés : Pierre-François, 38 ans, technicien vidéo, et Lucas, 24 ans, étudiant en BTS, aiment Pink Floyd. Le groupe de Roger Waters est une référence incontournable, mais l’éventail des artistes est large : des fans des 2 Be 3, de Mel C. (Spice Girls), Tarkan, Patrick Juvet ou d’Enrique Iglesias parlent. Et puis des gens plus rock : Placebo, David Bowie, The Cure, U2, etc. Coté français, on évoque Etienne Daho, Brigitte Fontaine, ou Jean-Louis Murat. Le groupe “dur” des fans s’appellent les “Dolos.” Ce groupe est né d’une mailing list (la “Dolo List”) et il n’est pas rare que Murat les salue tout haut lors des concerts, ou organise pour eux des chasses aux trésor. Comme quoi, une vie de fan, ça procure aussi un peu de reconnaissance. Côté reconnaissance, la plus belle histoire est sans conteste celle de Maryflore : son père était organisateur de concerts au théâtre antique d’Arles et Joan Baez a écrit une chanson pour elle.
J’en vois quelques-uns sourire : bah, un fan, c’est bête comme ses pieds… Certains d’entre vous doivent penser : quelle idée de compiler les interventions de la rubrique “Fanclubbing” de France Inter ! Ce sont tous des fanatiques complètement idiots… Détrompez-vous, écouter le fan de tel ou telle artiste parler de sa passion, c’est sacrément intéressant. Bien sûr, la plupart sont mesurés (et la postface le souligne). Par exemple, Roger dit d’Eddy Mitchell : “Avec lui, ça ne passerait pas d’attendre devant son appartement, de le suivre ou de le harceler.” Les fans très mesurés comme Roger ne semblent pas les plus nombreux à être cités. Le plus gros des propos est constitué de la parole des fans qui font partie de la gentille cohorte de ceux qui dépensent de l’argent pour les voyages, le merchandising, et tous les frais qu’une vie de fan impose… Ceux qui ne se sont pas lavé la main après avoir serré celle d’une star, c’est mignon. Et puis il y a ceux dont on ne peut pas s’empêcher de se rappeler : une petite brochette de fans bien gratinés, dont les spécimens reviennent à intervalle régulier. Extraits choisis : Béatrice, sosie de Mylène Farmer, se considère comme “le ’touchable’ de l’intouchable”, Denis dit “pour Vanessa [Paradis, NDR], je ferais n’importe quoi.”
Et en effet, il raconte. Alors qu’il était en arrêt maladie, une émission de télé à propos de Vanessa devait être enregistrée : “J’ai pris un couteau, j’ai rouvert la plaie en coupant les points de suture, et je suis allé voir le médecin pour qu’il me fasse une prolongation.” Vicky, elle, s’est battue parce qu’on a dit du mal de la miss Paradis : “Je ne suis pas violente, sauf quand on s’attaque à Vanessa” confie-t-elle. Que penser de Patrick (37 ans, ouvrier spécialisé) quand il déclare : “Je suis resté célibataire à cause de Johnny. Pour assouvir ma passion, avec mon salaire, si j’ai une femme à temps complet, je ne pourrai pas faire tout ce qui me plaît. (…) Avec Johnny, (…) on peut choisir (entre les styles et les époques de sa carrière, NDR). Alors qu’avec une femme, une fois qu’on l’a, on est obligé de tout prendre.” Et de Lola, fan des 2 Be 3 : “Mon fiancé m’a dit : ’c’est lui ou moi.’ Je lui ai répondu : ’Ben… au revoir !’” ? Parfois, la vie de fan dénote une certaine souffrance : Marina espère mourir avant Sheila car, si son idole mourait, elle “ne pourrait pas l’accepter.”
Mais l’essentiel tient souvent en quelques mots. En l’occurrence ceux de Chantal, fan de Florent Pagny, qui conclut son propos par : “Aujourd’hui j’ai un copain, mais je n’arrive toujours pas à m’en sortir.” Utiliser l’expression “s’en sortir” à propos de son expérience de fan dit moins à quel point elle peut être vécue comme une souffrance chez certains. Peut-être parce que le fanclubbing est parfois, en lui-même, un dérivatif à une autre souffrance. On est alors loin de la musique et du plaisir qu’elle procure, semble-t-il.
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Eliane Girard et Brigitte Kernel “Fan attitude”, Librio, Paris, 89 pages, 1,52 €.
vendredi 1er novembre 2002