Faut-il vraiment maudire “Star Academy” ?

Faut-il vraiment maudire “Star Academy” ?

“Non” semble répondre Jean-François Kervéan qui consacre une enquête dans “Marianne” à l’émission de real-TV. Mais, hélas, sans nous expliquer pourquoi.

“On a beau fouiller, on peine à trouver trace d’une arnaque, écrit Kervéan. Aucune accusation grave ne tient. ‘Star Academy’ est le fruit d’un (gros) système, certes. Elle roule toute seule sur la puissance et l’intelligence d’un programme.” Et ringuardise “‘Loft Story’ et ses dérives” conclut-il également. Cela revient à dire que la seule raison que l’on aurait eu de “maudire” la “Star Academy” ce sont les supposées arnaques dans le choix du gagnant.

C’est oublier que “Star Ac” est un vrai robinet à idoles préfabriquées qui “mangent” le temps d’antenne TV-radio et l’audience médiatique des vrais artistes. Or, une chose est sûre dit notre confrère : s’il y a peu de chances que ce “télé-crochet” révèle les Brassens de demain comme “Le petit conservatoire” de Mireille lança Françoise Hardy (ce qui prouve que ce programme n’est pas rempli de talents), c’est une “manne” pour TF1 : la “Star Academy 2” “rapporterait quatre fois plus que la coupe du monde de football. Les trente seconde de pubs en prime time sont passées de 60 000 à 80 000 euros.” Le chiffre d’affaire de l’émission est évalué à 137, 6 millions d’euros pour un bénéfice présumé de 106 millions. La voilà bien la marque de fabrique de “Marianne” : être à contre-courant de la pensée dominante, quoi qu’il en coûte. Ainsi, alors qu’il faudrait évoquer l’aspect artistique (qui a lui seul suffirait à maudire l’émission), Kervéan nous donne complaisamment les chiffres de ce que rapporte “Star Ac.” Mais la question de savoir si “Star Ac” marche ne concerne que le producteur et le diffuseur. Ce que le mélomane veut savoir, c’est s’il est bel et bien condamné à devoir encore subir cette télé-réalité, et pour combien de temps encore ?

Si ça marche, c’est que TF1 donne au public ce qu’il veut : après le premier “Star Ac”, une étude marketing commandée par la chaine a révélé que le public voulait de vraies voix, de vrais talents. Résultat, dans “Star Ac 2”, “la moitié des 16 académiciens sait lire une partition et 80% jouent d’un instrument. Finis les concours de pets, bienvenue dans ‘Fame’ version frenchy” écrit Kervéan. C’est que “Star Ac 1” ressemblait fort à “Loft Story” et on se demandait ce que certains académiciens faisaient là. Les audiences étaient médiocres. TF1, qui avait acheté le programme à Niouprod, filiale d’Endemol (également producteur de “Loft Story”) après avoir dit “pas de télé-réalité chez nous” (on se souvient de la tribune de Le Lay dans “Le Monde”) a failli mettre un terme à l’aventure en cours de route. Mais il y a eu une erreur de la part sa concurrente France 2 qui a sauvé “Star Ac” explique Kervéan. Pour “Marianne”, “Star Ac 1” s’estt mis à décoller parce que France 2, qui tenait la dragée haute à TF1 le samedi soir, avec “Le plus grand cabaret du monde” de Patrick Sébastien, s’est mise à diffuser du rugby. C’est aussi oublier que, devant les audiences calamiteuses, les producteurs de “Star Ac” se sont mis à axer de plus en plus les résumés quotidiens de la vie au château sur la personnalité de Jean-Pascal, piètre chanteur, mais personnage haut en couleur : roteur, péteur, doté d’un accent du sud-ouest innénarable, et d’une grande gueule, mais pas de cerveau.

Les personnages. En voilà un point important. Cette année, Universal, explique Kervéan, aurait préféré que Georges-Alain, candidat au profil atypique gagne et pas Houcine, qui serait jugé “trop lisse”, et “limité aux comédies musicales” selon Pascal Nègre, PDG de la major (40 % des ventes de disques en France), dont Kervéan ne cite pas les propos, mais se fonde sur des ouï dire. C’est finalement Nolwenn qui l’a emporté samedi 21 décembre à l’issue d’un vote du public (les appels rémunèrent la chaine). La jeune femme est suspectée par certains magazines d’entretenir une liaison avec Mathieu Gonnet, le répétiteur des académiciens. Interrogé sur ce sujet, le très discret Ara Aprikian, directeur-adjoint au divertissement et responsable des jeux et de la télé-réalité à TF1, dit “si quoi que ce soit de non conforme avec une institution scolaire (institution scolaire, il vaut mieux entendre ça que d’être sourd, NDR) avait eut lieu, nous l’aurions vu et nous en aurions tiré les conséquences”. Ce à quoi Kervéan ajoute, dans un renvoi mentionné par une astérisque, que Mathieu Gonnet “aurait reconnu être amoureux de Nolwenn, mais s’est défendu d’une quelconque liaison.” Il aurait également récusé toute idée de favoritisme. En tout cas, Georges-Alain le dit tout net : “Nolwenn ne sera jamais mon amie.” Kervéan a rencontré l’académicien métis, qui reconnait avoir fait un passage par la case prison à vingt ans, et nous livre ses propos, “bruts de décoffrage.”

Kervéan a aussi rencontré Armande Altaï, qui dit-elle, ne sera pas de “Star Ac 3”. Elle qui a parfois les larmes aux yeux en évoquant ses petits protégés dit craindre qu’un des candidats “ne s’en relève pas” si jamais pour eux, un jour, le téléphone arrêtait de sonner. Kervéan explique aussi que le prochain disque d’Armande n’intéresse pas Universal. Ainsi va la télé-réalité, qui offre un album clé en main à un pétomane du sud-ouest et ignore le talent de celle qui a bel et bien (n’en déplaise à Nolwenn) LA plus belle voix de la Star Ac’.

“Marianne” n° 296/297 (23 décembre 2002 au 5 janvier 2003)

première publication : mardi 24 décembre 2002

Jean-Marc Grosdemouge