Art Rock à Saint Brieuc, du 25 au 27 mai 2007
Festival pluvieux, festival heureux : heureusement qu’Art Rock a lieu en centre-ville de Saint Brieuc car, en cette fin mai, le festivalier non équipé de Doc Martens a bien failli tremper ses mocassins pour goûter à l’alléchante affiche de cette édition.
Mince, merde, zut et rezut on a manqué les jeunots de Naast. Non c’est une blague : vendredi, en début de soirée, on n’avait aucune envie d’écouter ces freluquets à guitares et on ne pouvait pas : on en était encore à poser nos guitares à l’hôtel. On attaque donc avec The Fratellis. Ces trois Ecossais donnent dans les guitares acérées, les rythmes tranchants, et ça fonctionne : dès les premiers titres, certains dans le public commencent à slamer. Bref, ça démarre pied au plancher. ce n’est pas de la britpop (c’est un poil plus musclé) mais ça déchaîne les foules comme les concerts de Blur ou Oasis dans les années 90. Art Brut fait dans l’incantation et la critique sociale, mais pas dans la mélodie. Difficile donc d’accrocher même si Eddie Argos fait preuve d’une gouaille à toute épreuve. Visiblement ravi d’être à Saint Brieuc vendredi, ce brave Eddie a passé tout le festival à se ballader entre concerts et espace VIP, au bras de sa belle. Mais on ne l’a pas abordé pour le féliciter. Par contre, on connait plein de filles qui auraient aimé faire une bise à Johnny Borell, charismatique chanteur de Razorlight, parce qu’il est beau gosse, et parce que le groupe a livré un très bon show, alignant les titres aux mélodies serties d’or, rehaussée par une interprétation du chanteur tout en lyrisme. Lyrique aussi Joeystarr, à sa manière : à l’aide de sa grosse voix (quelle claque en live !), il a su conclure cette série de concerts à Poulain Corbion par un magnifique point d’exclamation ! Entre petites piques au public (soit-disant pas assez chaud, mais il ne faut pas trop abuser de ce genre de reproches car cela nuit à la cohérence du show) et prises de parole politique (les législatives approchent), Joeystarr reste “la voix qui fout la téci dans tous ses états”, la “maison-mère” du groove français. Et l’on a beau avoir connu ses premiers frissons live dans des concerts rock, il faut bien reconnaître que c’est ce genre de performance qui électrise le plus de nos jours.
Je ne passe jamais dans une ville sans acheter au moins un disque. Direction donc Errances, libraire et disquaire d’occasion où officie Christian. “Il y a deux ans, Thurston Moore de Sonic Youth est venu acheter des vinyles pour la radio dont il s’occupe à New York. C’est un fou de Brigitte Bardot ou Pia Colmobo, par exemple. Et pour pas qu’il soit dérangé par les fans, on avait fermé le magasin pour lui. Il est reparti avec 3000 euros de disques”. C’est avec un ticket moyen cent fois moins élevé qu’on repart de la boutique, pour aller en visiter une autre, Le Disquaire, escorté par Christian, tout heureux de nous présenter ses confrères, ouverts en décembre dernier. “On va voirYelle” lui glisse-t-on. “Elle est d’ici, répond-il. Son père est un chanteur traditionnel”. La jeune femme ne fait pas dans le traditionnel mais dans le hip hop électro (un comparse aux machines, un autre à la batterie et elle au micro), tendance Lio “Banana Split” ou Vive La Fête. Yelle répond aux machos de TTC (“Je veux te voir”) et finit par une reprise d’un hit des années 80 (“A cause des garçons” du duo féminin du même nom) et c’est une bonne façon de finir l’après-midi, à l’heure du thé. Mais ce n’est rien à côté des Canadiens Do Make Say Think, qui furent incontestablement la claque du festival pour les quelques privilégiés du Petit Théâtre, samedi en début de soirée. S’ils déboulent sur la scène de ce petit théâtre à l’italienne en hissant leurs instruments, ce n’est pas un banal effet de mise en scène. Allons chercher la signification de ce symbole… Il est tout trouvé : ces musiciens hissent haut les couleur du rock exigeant, et se révèlent excellents, comme tout ce qui porte l’estampille Constallation, d’ailleurs. Entre furie bien maîtrisée et acalmie aux accents jazzy, et pleine de joliesse, DMST joue sur les pleins et les déliés du rock. Sauf qu’en les écoutant, et de plus dans cet environnement rococo, on en viendrait presque à croire qu’on est au début du XXe, que le le rock n’a jamais existé et que ce combo joue du classique sur des instruments modernes, avec maestria et en rentrant dans le lard des conventions. Oublions donc ces étiquettes que sont le post-rock, l’avant-rock et tutti quanti : DMST joue ce qui lui plaît, sans oeillères, et ça nous transporte. Certains peuvent railler ce qu’ils appellent la “bien-pensance” d’Abd Al Malik mais entendre son discours de fraternité en ce début d’ère Sarkozy, écouter ce groupe entre jazz (Laurent de Wilde) et hip hop (Bilal) tisser des grooves subtils pour la voix mi slamée-mi rapée du Strasbourgeois est un bonheur rare (enfin pas tant que ça puisque le groupe est en tournée). Et je ne dis pas ça parce que je fais la bise à Abd Al Malik. Puisque je le dis souvent en off mais ne crois pas l’avoir encore écrit : cet homme est l’un des artistes les plus intelligents de l’époque, et il est humainement adorable, ce que confirment les bénévoles du festival qui l’ont vu en coulisses. C’est tout de blanc vêtus que les membres de Gotan Project se produisent sur scène. Même si leur musique fait penser à la “world food” qu’on sert aux touristes qui visitent Dehli ou istambul pour y trouver le même conforty qu’à Paris, et veulent manger occidental avec juste une pointe d’exotisme dans l’assiette, le tango électronique du trio est superbement mis en son et ça pulse joliment dans nos tympans. L’énergie est rock pour Les Rita Mitsouko qui ontt passé quelques jours en résidence dans la cité briochine pour se mettre en jambe et répéter leurs morceaux. Joli show (on l’a dit à Catherine Ringer, croisée une heure plus tard dans la rue), même si l’on peut regretter que les hits d’hiers aient été réduits à la portion congrue, histoire de bien promouvoir “Variety”, le dernier opus de ce couple qui vieillit bien à la ville comme à la scène.
Dimanche, on paresse un peu avant de sortir le nez dehors. Etant mis au courant par un collègue de Technikart.com que doit se tenir une conférence de presse de Patti Smith qui risque fort d’être confidentielle (personne n’est au courant de l’événement), on se rend donc au lieu dit, sur les coups de 17 heures. La parole circule mal, mais j’arrive quand même à poser deux questions. La réponse à la deuxième restera pour moi un impérissable souvenir. “Vous disiez tout à l’heure que nous sommes tous des outsiders, broyés par les interets des grands groupes capitalistes. Dans ce cas, n’avez-vous jamais songé à rompre avec l’industrie du disque et devenir complètement indépendante ?” Là dessus, Patti me répond qu’elle a créé une structure qui sort des disques de façon indépendante. sauf que personne ne les connait. “Les avez-vous écoutés ?” me glisse-t-elle avec un sourire. “No”, fait le journaliste, pas habitué à répondre à des questions mais à les poser. Et Patti de continuer, puisqu’elle a gagné. Le message est clair, en filigrane : quand je sors des disques sur de petites structures, personne ne les écoute. “Avec Sony-BMG, je peux faire entendre ma voix. Quand j’ai signé avec une major dans les années 70, ça m’a permis d’élever mes enfants. Si j’etais restée une poètesse en train de faire des bouquins, on aurait tous crevé de faim”. Et de conclure sur le fait que Columbia est le label de Miles Davis et Dylan. J’aurais voulu préciser ma pensée : par le fait de devenir indépendant, je pensais à racheter les droits des albums publiés par les majors pour les éditer elle-même. Mais l’industrie du disque n’est pas démoniaque, juge-t-elle. Après que le maître de cérémonie lui ait fait un cadeau (des chaussettes, qu’elle s’empresse de porter), patti reprend son antienne : “l’industrie dont il faut se méfier, c’est l’indsuctrie pharmaceutique. Gardez vous d’ingérer ce qu’ils ont à vous offrir”. A moitié vanné par Patti Smith : voilà encore une belle anecdote que je pourrai raconter à mes enfants (“père castor raconte nous une histoire”) si jamais un jour j’en ai. Il faudrait d’ailleurs que je signe avec des capitalistes si je ne veux pas qu’ils crèvent de faim. Samedi, après écoute de l’album “Salt Peter” de Ruby chez Errances, je dissertais avec mon confrère Sylvain Fesson sur la quasi-disparition du trip hop, genre fétiche des années 90. Cocorosie et ses ambiances Bisounours (ce n’est pas un reproche) vient prouver que ce n’est pas tout à faire vrai. Les deux soeurs Cassady, craquantes physiquement, sont aussi envoûtantes d’un point de vue musical. Olivia Ruiz “se la pète” (c’est elle qui le dit) car ce soir, elle joue sur la même scène que Cocorosie et Patti Smith. Elle peut, car elle fait montre d’une belle présence scénique, et l’on se plaît à rêver un album Malzieu-Ruiz… à moins que ce soit d’abord un bébé. Repérée à la “Star Ac”, Olivia et sa petite robe en lamé, ses gambettes bientôt aussi légendaires que celles de Mistinguett, arrive à se mettre dans la poche les fan de rock indie. L’heure est à l’ouverture. Pas celle de Sarko qui consiste à débaucher des gens de gauche : on pensait plutôt à l’ouverture d’esprit.
lundi 28 mai 2007