Simon Liberati “Performance”

Simon Liberati “Performance”

On savait depuis son roman “Anthologie des apparitions” que Simon Liberati était un habitué des spectres, et ses romans ultérieurs ont montré qu’il connaît la pop culture comme sa poche. Il le prouve une nouvelle fois en s’attaquant à un autre spectre : celui du fondateur des Rolling Stones, Brian Jones.

Libérati revient avec “Performance” (hommage au film de Donald Cammell et Nicolas Roeg), un roman qui navigue entre les ombres du passé et la lumière crue du présent, mettant en scène un narrateur aussi désenchanté (sa santé part en quenouille) qu’attachant. Ce dernier, un écrivain fauché de 70 ans, traîne sa vie avec la nonchalance un brin cynique un brin tendre de celui qui a trop vu, trop vécu, trop bu et trop pris de substances illicites.

Comme pour ajouter une touche d’ironie à son existence, il fréquente une jeune top model anorexique qui est sa belle fille, Esther, personnage qui permet de dépeindre le contraste entre deux personnalités issués de deux époques bien distinctes : elle est belle, jeune et cela lui fournit du travail, il et en bt de course et encore obligé de travailler. Dans ce tourbillon, le narrateur se voit embarqué dans l’écriture d’une série sur la fin tragique de Brian Jones, le légendaire cofondateur des Stones.

Ce n’est pas la première fois que la figure de Brian Jones obsède l’imaginaire collectif. Icône foudroyée en plein vol, il incarne le mythe rock dans toute sa splendeur : talent brut, beauté angélique, et déchéance inévitable. À travers ce projet de série, le narrateur plonge dans les méandres de cette histoire sombre, et retrouve sur son chemin des figures légendaires telles que Keith Richards et Anita Pallenberg. Entre nostalgie et décadence, ce groupe de survivants du rock se réunit autour du fantôme de Jones, comme s’ils cherchaient à exorciser les démons du passé ou à raviver la flamme d’une époque révolue.

Retour sur les faits pour ceux qui auraient manqué un épisode : la mort de Brian Jones est l’un des mystères les plus troublants de l’histoire du rock. C’est en 1969, à l’âge de 27 ans, qu’il est retrouvé sans vie dans la piscine de Cotchford Farm, une demeure qu’il avait achetée quelques années plus tôt. Ironie du sort, cette propriété appartenait autrefois à Alan Alexander Milne, le créateur de Winnie l’Ourson. Dans ce décor bucolique, qui contrastait tant avec l’existence tumultueuse de Jones, la scène de sa disparition prend des allures surréalistes. Imaginez la scène : sous le regard inquisiteur d’une statue de Porcinet, Jones gît dans l’eau, emporté par une nuit d’excès et de tourments. Cette image, presque grotesque, vient renforcer le caractère tragique et absurde de sa mort, enveloppant son destin d’une aura encore plus mystérieuse.

En s’attaquant à l’histoire de Brian Jones, Simon Liberati fait bien plus que rendre hommage à une légende du rock. Il nous plonge dans une réflexion sur le temps qui passe, la perte d’innocence, et la manière dont la pop culture transforme les icônes en spectres hantant notre mémoire collective. Et à travers son narrateur vieillissant, il nous rappelle que derrière chaque mythe, il y a des hommes, des femmes, des amours et des drames, parfois aussi poignants que la fiction elle-même.

Ce qui ajoute une touche amère à cette histoire, c’est que Brian Jones, ce cofondateur des Rolling Stones, n’a pas eu droit aux honneurs de ses pairs. Quelques semaines avant sa mort, il est écarté du groupe qu’il avait contribué à créer. Ce renvoi, signe d’une rupture profonde, précède de peu sa fin tragique, laissant un goût amer dans l’histoire du rock. Jones, l’âme fragile des Stones, n’aura finalement pas survécu à la machine qu’il avait contribué à mettre en route. Un destin tragique, et une série qui se veut un dernier hommage à cette étoile filante du rock.

“Performance” n’est pas seulement un roman sur la rock star disparue, c’est une méditation sur la chute et la rédemption, un miroir tendu à une génération qui se regarde vieillir en cherchant encore à capter l’éclat d’une époque révolue. À lire d’urgence, avant que les spectres ne nous rattrapent.

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Jean-Marc