Quand le héros de “Guerre” se frotte à la délinquance

Quand le héros de “Guerre” se frotte à la délinquance

A la fin de “Guerre” (voir notre article), nous avions quitté Ferdinand en France, à Peurdu-sur-la-Lys (commune fictive), sur le théâtre d’opérations militaires, en compagnie d’Angèle, de Purcell et de feu Cascade… On le retrouve cette fois à Londres, et au fil de ces pages de roman picaresque on explore la capitale en long en large et en travers, et même la Tamise et ses bas fonds.

Pourquoi l’action se situe-t-elle à Londres ? Parce que Céline y a réellement vécu pendant la guerre de 14 et qu’il y est retourné pour pondre ce texte, vraisemblalement écrit en 1934, puis volé et réapparu (on ne va pas y revenir). Reprenons alors le récit : Angèle a suivi le major anglais Purcell dans son pays natal, et réside désormais dans le quartier chic de Maida Vale, même si on activité reste toujours le plus vieux métier du monde. Ferdinand, devenu son souteneur, l’accompagne. La compagnie de Ferdinand, 22 ans mais déjà décoré de guerre, n’est pas des plus brillantes : il fraye avec une bande proxénètes, de délinquants, dans une pension de Leicester Square, et fréquente le monde interlope londonien.

Avant de plonger dans ce récit souvent haletant, brinquebalant, écrit à hue et à dia (la première partie a été un peu corrigée, les deux autres non, des mots sont manquants ou illisibles), on recommande de lire et relire plusiesurs fois le glossaire argoctique proposé en fin de livre, surtout si l’on n’est pas déjà lecteur de Céline (sinon tous les lecteurs du “Voyage au bout de la nuit” connaissent déjà les verbe pouloper et se trisser). Car il va s’en passer des choses : c’est un premier jet, donc Céline s’en donne à coeur joie (peut être aurait-il édulcoré ensuite) et les personnages fourmillent de partout : plus de soixante dix. De même qu’on entre dans “Cent ans de solitude” de Garcia Marquez en abandonnant tout espoir de s’y retrouver parmi les Aureliano, il faut se laisser porter par le récit de Célline, qui grouille de personnages.

Dans ces pages qui sentent le froid, la faim, la peur, on croise les soulographies les plus osées, le sexe le plus cru (orgies, fellations, masturbations), les bagarres les plus épiques, et les épisodes les plus crapoteux. C’est un incroyable défilé de personnage tous plus ou moins perdus : Cantaloup, Rodriguez, Aumone, Bijou qu’on soupçonne de moucharder à la police (“les bourres”), jusqu’à Borokrom, terroriste bulgare. Et ceux qui avaient un tant soit peu de dignité, comme le docteur Yungenbitz, qui donne à Ferdinand la vocation médicale, vont peu à peu la perdre. C’est en effet dans “Londres” que Ferdinand, tout ému que quelqu’un d’insrtruit pose un regard bienveillant sur lui, va ouvrir pour la première fois un livre de médecine, mais aussi faire des pansements… car on se bagarre à qui mieux mieux dans ces pages où se mêlent sang, bile, sperme et vomi. On apprend que Joan Sfar vient d’obtenir le droit de porter le “Voyage au bout de la nuit” au cinéma. On lui souhaite bon courage parce qye s’attaquer à un tel monument, c’est autre chose que de filmer Gainsbourg. Et si quelqu’un veut adapter “Londres”, il devra se resigner à le voir classé X s’il ne veut pas dénaturer le propos de l’auteur.

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Louis-Ferdinand Céline “Londres”, Editions Gallimard, Paris, 2023.

Jean-Marc