“Overcome” : Tricky revisite “Karmacoma”

“Overcome” : Tricky revisite “Karmacoma”

Dans l’obscurité feutrée d’un studio de Bristol, Mark Saunders se plonge dans son univers sonore, illuminé par les vibrations des machines et des samples laissés par Tricky durant le jour. L’artiste, qui avoue ne pas maîtriser pleinement les instruments, laisse libre cours à son inspiration, comptant sur Saunders pour polir ces idées brutes. Ce rythme nocturne sied parfaitement à Tricky, qui lui confie l’enregistrement de l’un des titres les plus emblématiques de son album “Maxinquaye” : “Overcome”.

Ce morceau est une réinterprétation personnelle de “Karmacoma”, titre que Tricky avait co-écrit avec Massive Attack sur l’album “Protection” sorti en septembre 1994. Si le “Karmacoma” baignait déjà dans une atmosphère de trip-hop hypnotique, “Overcome” en approfondit l’introspection, la rendant encore plus minimaliste et intime. En reprenant certaines lignes vocales et en modifiant la structure, Tricky s’approprie le morceau, transformant l’original (ci dessous) en un voyage plus personnel et torturé.

L’influence de Mark Saunders est palpable tout au long du titre. Travailler avec Tricky, c’est composer avec une tension constante, une improvisation maîtrisée, où la déstructuration devient un atout majeur. Souvent en proie à ses démons, Tricky laisse derrière lui des sons inachevés, et Saunders, à l’écoute des inspirations nocturnes, s’illustre comme l’architecte de la mélancolie sonore de “Maxinquaye”, transformant ces bribes en œuvres magistrales. La voix éthérée de Martina Topley-Bird se mêle à la profondeur des basses et des percussions fragmentées, créant une harmonie à la fois sombre et poignante.

Le morceau puise également dans des influences extérieures. Le refrain est construit à partir d’un sample subtil de “Moonchild” (ci dessous), titre des Shakespears Sister, ajoutant une couche de sensualité et de mystère à l’ensemble. Cette utilisation du sample, qui traverse le morceau en filigrane, illustre la capacité de Tricky à puiser dans des sources variées pour créer une œuvre cohérente, tout en tissant un lien avec la scène alternative des années 90.

“Overcome”, qui ouvre l’album “Maxinquaye”, incarne non seulement l’essence du disque, mais aussi une pièce maîtresse du paysage musical des années 90. Ce morceau, où fusionnent trip-hop, hip-hop et rock alternatif, capture l’angoisse et la vulnérabilité de la condition humaine. Les paroles évoquent la lutte intérieure, thème récurrent chez Tricky, qui plonge ici au plus profond de lui-même.

Adrian Thaws, alias Tricky, a souvent évoqué ses luttes personnelles dans ses interviews, révélant comment la musique était pour lui un exutoire. Dans une interview avec “The Guardian” en 1996, il confiait : “La musique est mon exutoire. Sans elle, je ne sais pas ce que je ferais.” Il parlait ici de ses combats contre la dépression et l’anxiété, des cicatrices d’une enfance difficile à Bristol. Ce contexte se ressent pleinement dans “Overcome”, où les lignes comme “You sure you want to be with me? I’ve nothing to give” (“es tu sûr de vouloir être avec moi ? je n’ai rien à offrir”) traduisent le doute, la confusion et une certaine résignation.

L’enregistrement du morceau, entre Bristol et Londres, se teinte des ambiances urbaines et nocturnes de ces deux villes. Le studio The Coach House à Bristol, où une bonne partie de l’album a été façonnée, et The Town House à Londres, ont contribué à l’atmosphère unique du titre. Saunders, grâce à une diversité d’instruments et de samples, parvient à rendre palpable cette tension sonore. Chaque son est choisi avec soin, entre des lignes de basse sombres et des percussions éclatantes, pour créer une sensation d’introspection et de densité.

Les paroles de “Overcome” se lisent comme une confession douloureuse. “I know that I am not going to make it through the night / I can feel it in my bones” (“Je sais que je ne vais pas m’en sortir cette nuit / Je peux le sentir dans mes os”) traduisent un sentiment de désespoir, mais laissent aussi entrevoir une lueur d’espoir. Tricky utilise la musique pour transcender ses peurs et ses angoisses. Sa lutte contre ses démons devient ainsi une force créative, un moyen de transformer la douleur en poésie sonore. Comme il le confiait au “NME” : “je veux que ma musique soit un miroir de ma vie, même si ça signifie plonger dans mes pires souvenirs.”

“Overcome” devient alors bien plus qu’un simple morceau : c’est une plongée dans l’esprit torturé de Tricky, où vulnérabilité et défiance se côtoient. Sous l’influence de Mark Saunders, la production nocturne donne vie à un son qui semble à la fois familier et étrangement déroutant, une pièce essentielle de l’univers trip-hop qui fêtera ses trente ans en février 2025. On aura l’occasion d’en reparler d’ici là.

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Jean-Marc