A quoi sert le dictionnaire de l’Académie Française ?

A quoi sert le dictionnaire de l’Académie Française ?

Le dernier tome de la neuvième édition du Dictionnaire de l’Académie Française paraîtra en novembre prochain, clôturant un travail initié en 1980 et au delà une aventure entamée il y a près de 400 ans. Dans le dernier numéro de la revue “L’Histoire”, Pascal Ory, historien et académicien, revient sur la genèse et les ambitions de cet ouvrage monumental, créé pour établir la norme du français.

Bien que l’Académie française, institution fondée par Richelieu pour « purifier la langue » en la codifiant date de 1635, il faut attendre 1694 pour que soit publié pour la première fois son Dictionnaire. Mais ce n’était pas le premier dictionnaire puisque ceux de Richelet (1680) et de l’ancien académicien Furetière (1690) les avaient précédés. Antoine Furetière a d’ailleurs été exclu de l’Académie pour concurrence déloyale.

Cette ambition linguistique a pris racine plus tôt, sous le règne de François Ier. En 1539, avec l’ordonnance de Villers-Cotterêts, le roi rend le français obligatoire dans les actes juridiques, au détriment du latin. Ce geste était moins dirigé contre les langues régionales que contre la langue de l’Église et de l’Université, qui dominait alors les échanges savants et administratifs. C’est également à cette époque que François Ier crée le Collège de France, en 1530, affirmant une « logique de modernisation et de centralisation » qui place le français au cœur de l’État et de la culture.

Le Dictionnaire de l’Académie est devenu un outil pour définir le « bon usage » des mots, mais aussi pour clarifier leur étymologie, une tâche rendue complexe par les divergences orthographiques du XVIIe siècle. « L’Académie chercha à garder l’orthographe ancienne tout en introduisant des améliorations », explique Ory, évoquant des changements comme la distinction entre le « i » et le « j ». Les académiciens s’inspiraient également de modèles européens : l’Accademia della Crusca, en Italie, avait déjà publié un dictionnaire en 1612, bien que dans un contexte politique différent puisque l’Unité italienne ne s’est pas faite avant le XIXe siècle.

Bien que concurrencée par d’autres dictionnaires, comme ceux de Richelet (1680) et de Furetière (1690), l’Académie réussit à maintenir son magistère. Son autorité repose en partie sur sa capacité à évoluer : le Dictionnaire est passé de 18 000 entrées en 1694 à plus de 50 000 aujourd’hui. Contrairement aux idées reçues, Ory souligne que l’Académie n’a jamais été « une forteresse du conservatisme » mais a su « accompagner l’enrichissement de la langue » tout en veillant à la norme.

Les éditions successives du Dictionnaire, d’abord régulières, ont ralenti au fil des révolutions politiques : « On est passé d’une édition tous les vingt ans à des intervalles de cinquante ans, jusqu’à la huitième édition en 1935, » explique Ory. La neuvième édition, lancée sous l’impulsion de Maurice Druon dans les années 1980, a introduit un Service du Dictionnaire, une équipe de linguistes et d’informaticiens qui travaillent en étroite collaboration avec les académiciens. Ce soutien technique et l’effort continu de la Commission du Dictionnaire, qui se réunit trois heures chaque jeudi, permettent d’assurer une continuité jusqu’à la dixième édition, déjà amorcée.

Sur le sujet sensible de l’écriture inclusive, l’Académie, gardienne de la norme, reste ferme : elle a exprimé son opposition en 2021, mais accepte toutefois la féminisation des noms. Ainsi, le Dictionnaire inclut des formes féminisées comme « autrice » et « rectrice », un choix pragmatique, explique Ory, qui vise à « laisser la langue se former naturellement » tout en veillant à la cohérence. Aujourd’hui, le Dictionnaire de l’Académie française persiste, adapte son rôle de gardien de la langue avec souplesse, et prouve sa modernité puisqu’il est numérisé, d’accès libre et gratuit sur le site de l’Académie.

Pour en savoir plus : consultez “L’Histoire” (novembre 2024), disponible en kiosque et sur https://www.lhistoire.fr

L’Académie publie également des livres intitulés “Dire, ne pas dire” pour permettre aux écrivains journalistes et toute personne prenant la parole de bien user des mots, par ailleurs décliné sous forme de blog régulièrement alimenté.

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Jean-Marc Grosdemouge