Les petites cuisines du Goncourt racontées par Pierre Assouline
La République des Lettres a ses lieux : le Café de Flore et les Deux Magots, cafés voisins sur le boulevard Saint Germain, l’Académie quai Conti et un restaurant place Gaillon, à deux pas de l’Opéra Comique, chez Drouant. C’est là que chaque année est remis le prix Goncourt.
C’est Pierre Assouline, écrivain et lui même juré Goncourt, qui dans cette série pour France Culture de l’été 2013, nous raconte 110 ans de la vie littéraire française, au travers de la remise de ce prix, chaque mois de novembre depuis 1903, quand Jules et Edmond de Goncourt créèrent, par testament, le prix qui porte leur nom et qui récompense une oeuvre en prose, parue dans l’année. Car l’Académie Goncourt, créée pour être un contrepoids à l’Académie Française, ne récompense pas une oeuvre mais bien un roman… et pas non plus un éditeur même si ces derniers ont beaucoup oeuvré pour le faire obtenir à leur poulain.
Biographe de Gaston Gallimard, publié par la NRF (anciennement rue Sébastien Bottin, rebaptisée du nom de Gaston 1er par son lobbying), Assouline ne tait pas que la maison Gallimard a su y faire pour truster les récompenses. Elle n’est pas la seule : la presse a longtemps moqué le trio “GalliGraSeuil” du nom des trois éditeurs (Gallimard, Grasset et Seuil) qui étaient toujours de la liste finale… Les temps ont changé puisque désormais de plus petits éditeurs comme Actes Sud (Laurent Gaudé, Eric Vuillard, Nicolas Mathieu) ou P.O.L. (Atiq Rahimi) voient parfois l’un de leurs romans distingué par le célèbre bandeau rouge.
Petite cuisine littéraire
Chaque mois donc, dans un salon à l’étage, les jurés se réunissent pour discuter des romans, et déjeunent dans un couvert en vermeille, sur lequel le nom des précédents jurés est gravé. Assouline mange dans le dixième, qui fut celui de Descaves. Qui, pour l’hitsoire, restera celui qui, par bouderie, décida un jour de manger au rez de chaussée et de faire porter son vote à l’étage, par quelque serveur de la maison. Certains grands faits son connus (la mystification de Romain Gary, qui après “Les racines du ciel” obtint le prix une seconde fois avec “La vie devant soi” sous le nom d’Emile Ajar), mais on en découvre bien d’autres. Il y a les filouteries de la presse (Alain Ayache qui pose des micros dans le salon où se réunit les membres de l’Académie Goncourt), les rumeurs, les intringues pour pousser tel roman, ou pour faire entrer tel candidat parmi les membres, comme Aragon, qui exigea l’unanimité des voix ou rien pour venir siéger chez Drouant. Nul besoin d’avoir été couronné par le prix pour être juré : Virginie Despentes, qui n’a pas obtenu le Goncourt pour ses romans, a été jurée, avant de démissionner parce que cela prend du temps de lire les livres des autres et qu’elle voulait se consacrer à sa propre oeuvre.
Si certains lauréats (Marcel Proust, Marguerite Duras en 1984 pour “L’amant” ou Houellebecq pour “La carte et le territoire”) sont connus, on constatera en écoutant ces six émissions que de nombreux noms d’écrivains ne sont plus aujourd’hui connus. Guy Mazeline est un cas à part : son nom restera pour l’histoire celui qui a remporté le Goncourt l’année où nombreux s’attendaient à le voir décerné à… Louis-Ferdinand Céline qui ne l’obtint jamais. L’Académie Goncourt, comme l’Académie Française, a ses illustres absents. Le prix Goncourt fait vendre, mais cela dépend des années. Bref, c’est un monde de prestige et de petits secrets. En tout cas il n’y a qu’en France me semble-t-il que le journal de 13 h s’ouvre chaque année par lé promulgation du lauréat d’un prix littéraire. Alors que Kamel Daoud vient d’êytre récompensé, il est bon de se plonger dans l’écoute de ce podcast. Il ne manque que les odeurs de cuisine.
“Chez Drouant : théâtre du Goncourt” de Pierre Assouline est à écouter ici
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