Jean-Pierre Pasqualini "Les yé-yé"

Jean-Pierre Pasqualini "Les yé-yé"

“Non rien n’aura raison de moi, J’irai t’chercher ma Lolita, Chez les yé yé” chantait ce vieux roublard de Serge Gainsbourg après avoir retourné sa veste une fois qu’il eut compris qu’elle était doublée en vison. Elle avait quel âge Lolita dans les années 60 ? Quatorze automne et quinze étés… Elle est grand-mère aujourd’hui, et ce livre est un peu son album souvenir.

Ce n’est pas la première fois qu’on lâche le mot “yé yé” sur Epiphanies. En juin 2003, pour fêter les quarante ans du célèbre “concert de la Nation” qui vit les idoles des sixties se produire en public, et quelques débordements minimes faire la une des journaux, nous faisions le point sur la naissance et la chute de ce mouvement un brin anecdotique (voir notre article). Quoique à titre personnel, ayant passé deux ans de ma vie à faire des recherches dans le but d’écrire un mémoire de maîtrise d’histoire, je peux confesser que j’ai pour ce mouvement, même anecdotique, une petite sympathie dont je ne me sens absolument pas coupable une seconde.

C’est donc avec plaisir que j’accueille la sortie de ce livre écrit par mon aîné Jean-Pierre Pasqualini, rédacteur en chef du magazine “Platine”, qui retrace ici les six ans (1961-1966) qui virent la France de moins de seize ans gagnée par la fièvre des idoles. Les moins de seize ans, dites-vous, ça devait pas faire grand monde ? Erreur… Dès juin 1944, quand les Anglais débarquent en Normandie, les Français se mettent à copuler. Cela donnera naissance à une sacrée ribambelle de petits lardons. Dans les années 60, c’est le “baby boom” et les rues n’ont pas la même physionomie qu’aujourd’hui : on voit autant de chères têtes blondes que de cheveux blancs aller et venir sur les trottoirs, pas loin des Simca, des Floride et des Dauphine. Les moeurs sont bien corsetées : pas d’amour avant le mariage, pas de pilule (une loi de 1917 interdit même d’en parler, Antoine en fera les frais), la drogue est un truc de happy fews ou de routards, la capote un truc pour les légionnaires ou les libertins. Il n’y a pas de TGV, et les autoroutes sont en train d’être construites. Côté média, pas de FM, peu de chaînes de télé (en noir et blanc, et qui n’émettent pas toute la journée). Politique ? ça sent le Chili, il y a un général à l’Elysée. Et en plus, il faut s’habiller “comme y faut” pour aller à la messe (encore en latin) le dimanche. Brigitte Bardot en ombres chinoises dans “Et dieu créa la femme” de Vadim, ça fait scandale, une speakerine qui montre ses genoux aussi, et dans les campagnes la salle de cinéma appartient à la paroisse. La pornographie sur le Net ou sur le téléphone portable, vous n’y pensez même pas. Bien sûr, aujourd’hui, Sheila et ses couettes, Sylvie, Françoise, Johnny, Eddy et les Chaussettes, Dick et les Chats Sauvages, ça fait sourire. Mais à l’époque, c’était “dans le vent”.

On a peine aujourd’hui à percevoir à quel point ça devait être révolutionnaire cette déferlante de jeunes dans les médias. Des jeunes propres sur eux certes. Le seul à faire peur c’est Vince Taylor, costume de cuir et chaines de vélo prêtes à fondre sur les demi-portions. Jean-Pierre Pasqualini a toujours le mot juste ou l’anecdote qui fait mouche pour nous présenter ces chanteurs français (certains Kleenex) qui datent de la grande époque où chaque jour en semaine à 17 heures, la station jeune Europe 1 disait “Salut les Copains” à tous les teenagers. Le grand-prêtre, assisté de Frank Ténot, s’appelle Daniel Filipacchi. Il est surtout fan de jazz et de jolies femmes, et il fera fortune. Aujourd’hui encore, quand vous achetez “Elle”, “Télé 7 Jours” ou “Paris Match”, quelques sous vont dans sa poche. Pasqualini commence par parler chanson, twist, mashed potatoes, letkiss et madison, et partant, retrace cette époque qui voit naître l’adolescence : fini le passage express de l’aube de communiant à l’uniforme de conscrit pour les garçons, fini pour les femmes de passer du joug de papa à celui du mari. Les adolescents ont de l’argent de poche, l’Amérique déverse ses produits sur fond de Plan Marshall, et -cerise sur le gâteau, la croissance est là.

Au fond, même si les “croulants” râlent un peu devant cette débauche de rythmes souvent considérés comme abrutissants (au début) puis par ces hippies au cheveux longs (Antoine, Polnareff) sur la fin du yéyé, les jeunes sont heureux. Tout va bien au pays du Général et de Tante Yvonne. Mais alors pourquoi mai 68 ? La sono était pourrie, on a tout pété !

yéyé pasqualini

Jean-Pierre Pasqualini “Les yé-yé”, Editions Hors-Collection, 2005, 96 pages.

Jean-Marc Grosdemouge