M83 : bonnes nouvelles des étoiles

M83 : bonnes nouvelles des étoiles

      Deux ans à peine après leur premier album éponyme, très remarqué, le duo antibois M83 (Anthony Gonzales et Nicolas Fromageau) revient hanter nos platines et nos nuits avec “Dead cities, red seas et lost ghosts”. En leur compagnie, visitons ces villes mortes, faisons la planche sur la mer rouge, et faisons coucou aux fantômes.

M83-Dead_Cities,_Red_Seas_&_Lost_Ghosts   Exit l’herbe verte du fort de Saint-Père, où se tient le Route du Rock de Saint Malo, et le soleil d’août qui avait réchauffé notre première interview. Notre deuxième rencontre avec le duo M83 a lieu dans le locaux parisiens de la major qui distribue désormais leurs disques. Anthony et Nicolas ont deux années de plus au compteur, ne baissent plus les yeux quand on les félicite, mais restent toujours aussi modestes. Ce n’est pas encore cette fois qu’on verra leur tête sur la pochette de leur album : celle de “Dead cities …” est l’oeuvre d’une photographe américaine, Justine Kurland, intitulée “Snow angels”.

   Modestes, les gars de M83 : dans la vie s’entend, car à l’écoute de “Dead cities, red seas et lost ghosts”, il est clair que leur musique est de plus en plus ambitieuse. Alors que la culture de Nicolas et Anthony est avant tout issue des groupes à guitares (Mogwaï, My Bloody Valentine), le premier album éponyme de M83, sorti en 2001, était une sorte de berceuse electronica, qui ne refletait nullement leur goût pour les riffs ravageurs.
Aujourd’hui, peut-être est-ce pour sortir de cette case électronica qui ne leur correspond pas, que les deux membres de M83 font montre de leur culture rock, en créant une musique avec plus de guitare, mais aussi des voix, des orgues cathédrales, et le psychédélisme seventies sur un deuxième album ou Sigur Ròs fait la causette avec Ash Ra Tempel. Quoi qu’il en soit, au final, la musique de M83 ne ressemble qu’à du M83. Ces antibois sont jeunes, mais ils ont trouvé leur son. Propos recueillis par Jean-Marc Grosdemouge.

Epiphanies : Quand nous nous sommes vus en 2001, vous veniez de vous installer à Paris et je vois que ce deuxième album a été enregistré à Antibes. Vous y êtes retournés juste le temps d’enregistrer, ou avez-vous quitté la capitale ?

Anthony Gonzales : On est repartis à Antibes pour de bon. En partie pour composer le deuxième album, et pour être plus tranquilles. Ca se passe bien.

Donc finie la vie parisienne ?

AG : Pour composer de la musique, c’est pas très facile d’être à Paris. Nous sommes beaucoup plus à l’aise sur Antibes. c’est plus …

Nicolas Fromageau : Plus calme.

Du coup, vous vous êtes retrouvés à faire ce deuxième album dans le mêmes conditions que pour le premier ?

En choeur : Ouais, c’est ça.

Les parties vocales, en revanche, ont été enregistrées à Paris.

AG : Avec Benoit de Villeneuve et sa copine. Cyann du groupe Cyann et Ben a aussi bossé avec nous. Montag a fait les cordes.

NF : Tout s’est fait par correspondance, par des envois de CD, parce que nous étions à Antibes pendant tout l’enregistrement du disque.

Sur “Dead cities …”, il y a eu plein de collaborations. Sur le premier album, la seule personne avec qui vous aviez travaillé, c’était Mils.

AG : On a rebossé avec Morgan Daguenet, de Mils et notre ingénieur du son en concert, Gontrand, de Mils également. Sur le premier, on était deux.

NF : Deux plus Morgan. Bref …

Vous avez décidé qu’il y aurait cette fois plein de gens ?

AG : Oui, on avait des envies de voix. Et tant qu’à faire, autant choisir des gens avec qui on s’entend bien musicalement, des gens de qui on se sent proches. Et ça tombe bien parce qu’ils sont sur le même label que nous.

NF : Ce n’est pas un hasard. Ils répondaient tous un un besoin précis : on a pensé à Benoit de Villeneuve pour les voix, parce qu’on le connait. On saavait qu’il allait rentrer dans notre esprit parce qu’il aime bien notre musique. On a pensé à Montag pour les violons parce qu’on l’avait rencontré à Montréal.

Il s’est déplacé ?

NF : Non, il a tout envoyé enregistré depuis le Québec. On savait qu’il jouait du violon ; il aime notre musique, on aime la sienne … Chez Gooom, Jean-Philippe Talaga aime bien que les gens se rencontrent, donc c’est naturel de faire pappel à des gens déjà rencontrés qu’à des musiciens de studio. On essaie de faire ça un peu en famille.

C’est vrai que Jean-Philippe Talaga aime bien mélanger les gens. On s’en est aperçus avec le projet collectif Purple Confusion.

NF : Y’a un peu de ça.

En 2001, quand vous citiez vos influences, vous parliez de My Bloody Valentine. Eux, après “Loveless”, il n’ont plus rien sorti. Vous, vous avez mis moins de deux ans à sortir le successeur de votre album éponyme, si acclamé. Vous aviez des morceaux en réserve ?

AG : On avait pas mal de morceaux et on pensait qu’il était temps de sortir un nouvel album.

NF : Deux ans, c’est un bon écart. Ni trop court, ni trop long. Mais il n’y a pas de règles : certains sortent deux albums en même temps. Commercialement, c’est un risque. On a signé avec Labels, alors il fallait rapidement leur donner de la matière.

Ils ont ressorti votre premier album à la rentrée 2002.

AG : C’était juste une prise de contact, en fait. Pour l’export, et tout …

Mais ils attendaient vraiment un premier album entièrement distribué par eux …

En choeur : Ouais, c’est ça.

En 2001, j’ai eu l’occasion de discuter avec Jean-Philippe Talaga, qui m’expliquait le côté artisanal de Gooom. Le label presse de très petites quantités de disques. Il sentait l’intérêt du public et des médias pour vous, puisqu’il fallait represser votre album pour répondre à la demande. Je lui ai dit “M83 va peut être devenir ton Tubular Bells” (ce titre de Mike Oldfield est celui qui a marqué le début de la fortune de Richard Branson et de Virgin, NDR). Aujourd’hui, avec cette signature chez Labels, c’est vous la tête de proue de Gooom ?

NF : S’il y a un artiste qui revient de plus souvent, c’est Morgan, de Mils. Il fait le mastering de tous les disques, bosse sur plein d’albums et sort pas mal de choses. Tête de proue d’un label, ça ne veut pas dire grand chose, vu qu’il y a pas de groupes avec lesquels on a pas grand chose à voir … Il n’y a pas grand chose à voir entre M83 et Cosmodrome ou Cyann et Ben.

Mais vous êtes les premiers du label Gooom sur qui l’industrie, la vraie, décide de miser. Cela ne vous met pas la pression ?

NF : Un peu, mais c’est positif.

AG : C’est une bonne pression, je pense.

NF : On se prend pas trop la tête.

AG : C’est plutôt encourageant que des gens croient en nous et en notre musique.

Vous semblez moins timides … Il y a deux ans, vous sembliez étonnés d’être passés si vite du lycée au statut de jeunes artistes. Aujourd’hui, vous êtes plus en phase avec votre statut de musicien qui sortent leur deuxième album sur une grosse maison de disque, à l’heure ou d’autres sont encore à la fac ?

NF : Certainement, mais on est sur Antibes. Tu sais, avec nos potes, on n’en parle pas. On est détachés de ça. On va attendre un an et voir si le “phénomène” autour de nous est plus gros.

AG : On va attendre les réactions du public sur ce nouvel album.

NF : Rien n’est fait, on est encore dans le même état d’esprit que la première fois où tu nous as interviewés à la Route du Rock de Saint Malo. On est juste un peu moins timides parce qu’on a fait plus d’interviews et de concerts, mais on se dit pas qu’on est des musiciens renomés.

Et puis être à Antibes, ça casse la starification. A Paris, vous risquez d’être reconnus.

NF : A Antibes, les 3/4 des gens ne savent pas ce qu’on fait. Ou ils le savent mais s’en foutent. Nos amis proches sont contents pour nous mais ils n’en font pas un flan. On n’en parle pratiquement jamais entre nous. Je trouve ça plus qu’agréable que d’aller boire un coup au Pop In (bar pop de la rue Amelot à Paris, NDR) et de tomber sur le gars de machin qui va te brancher avec le gars de truc. Au bout d’un moment, c’est chiant. Les gars ne te parlent plus que de musique, tout le temps, c’est lourd ! A Antibes, on fait notre vie, comme d’hab’, c’est mieux.

Quand le premier album est sorti, vous avez été comparés à des gans de chez Warp, dont vous n’aviez pas connaissance. Vous aviez une culture musicale plutôt axée sur les guitares. Vous avez écouté quoi ces deux dernières années ?

AG : Clouddead, Electralane. Plein de groupes.

NF : Jean-Philippe nous a fait écouter plein de choses. On a découvert plein de choses des labels parisiens Active Suspension et Clapping Music. On ne connaissait pas du tout. Il y a des choses que je trouve super bien : Gel :, Domotic, même si l’électronica n’est pas ce que j’écoute en priorité. J’écoute Clouddead, Godspeed You Black Emperor.

Et depuis la dernière fois, vous vous êtes mis d’accord sur Björk ? Je me souviens que l’un de vous l’aimait, et pas l’autre …

AG : Ben non, toujours pas …

NF : Pourtant, elle a sorti un album qui est génial, “Vespertine” (sourire), eh ben non.

AG : Musicalement, j’aime bien, mais c’est sa voix !

NF : Je pense que si on ôtait la piste de voix, ça lui irait.

AG : Si elle n’en faisait pas des tonnes, oui, ça irait (sourire).

M83 “Dead cities, red seas et lost ghosts”, 1 CD (Gooom/Labels), 2003

photo M83 : Jean-Marc Grosdemouge

Jean-Marc Grosdemouge