Musique : que retenir des années 90 ?

Musique :  que retenir des années 90 ?

Que retenir des années 90 en matière de musique ? La question court de plus en plus dans les dîners en ville. Voilà un beau sujet de discussion et -on l’espère- un beau sujet d’article. Et partant, une belle occasion de raviver les souvenirs. Putain, “Grace” ou “Dummy”, vingt ans déjà !

D’abord, on retiendra que cette décennie a ses héros morts dans la gloire de leur jeunesse : Kurt Cobain, chanteur de Nirvana, dont la déflagratation sonique “Nevermind” de 1991 fait siffler encore bien des oreilles, et Jeff Buckley, dont le “Grace” pose son baume élaboré en 1994 sur bien des coeurs et sur bien des plaies pas encore refermées. On se souvient aussi d’avoir appris qu’homme-caméléon, en américain, ça se dit Beck et que femme-caméléon, en islandais, ça se dit Björk.

En France, chanson et french touch

Dans l’Hexagone, on n’est pas en reste avec le succès de Noir Désir, et des découvertes venues de l’Ouest : les Bretons Miossec et Yann Tiersen, le Nantais Dominique A, ou le Vendéen Katerine. Grâce à Mathieu Boogaerts ou Les Innocents, on se rend compte que le français peut sonner sans être ridicule, même si les Bisontins Welcome To Julian ou les Little Rabbits usent de l’anglais. La grosse découverte de la décennie, celle que personne ou presque n’avait vu arriver, c’est Louise Attaque. Découvert par un éditeur de musique (et non un label), le groupe emmené par Gaétan Roussel a parcouru de nombreuses scènes avant de sortir son premier album, et le succès est fulgurant. Les labels Lithium (Diabologum), Village Vert (Autour de Lucie) et Tôt ou Tard (Thomas Fersen) oeuvrent pour la pop made in France. Côté électronique, la french touch (Air, Daft Punk) déferle, et le disc jockey Laurent Garnier crée le label F Communications. On s’ouvre au hip hop d’ici (les Marseillais d’IAM, les rebelles NTM, ou le lettré MC Solaar, découvert avec le titre “Bouge de là”) ou d’ailleurs, comme celui de DJ Shadow, dont l’album “Endtroducing” sort sur le label Mo’Wax de James Lavelle. Si Mo’ Wax est aujourd’hui en sommeil, toutes ses productions des années 90 ou presque (Luke Vibert, As One, Attica Blues, et les compilations “Headz”) valent le coup d’être écoutées.

Des femmes et de l’électro

De PJ Harvey à Cat Power, en passant par Fiona Apple, Veruca Salt (“Seether”), Echobelly, Elastica (le groupe de Justine Frishman, qui fut la petite amie de Damon Albarn), Throwing Muses (le groupe de Heidy Berry et Kristin Hersch) ou Lush, les femmes prennent le pouvoir. D’ailleurs puisqu’on vient de citer deux de ses groupes maisons, signalons que le label 4AD vit ses plus belles annéées. Côté électro, en Angleterre, Warp, installé d’abord dans le nord à Leeds, cultive de jolies jeunes pousses (Aphex Twin, Autechre, Plaid, Boards of Canada). Les grosses machineries s’appellent Underworld et Chemical Brothers. On découvre le big beat, puis on se presse de passer à autre chose tant c’est mauvais.

Du rock de toutes les couleurs

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De la noisy pop (Posies) au grunge, en passant par le glam (Suede), mais à l’exception du rock dépressif (Palace et pas mal de productions Domino), le rock est vif, notamment avec les Smashing Pumpkins de Billy Corgan ou Weezer. Deux groupes aujourd’hui énormes sont déjà là : Mercury Rev, qui s’affiche au début de la décennie avec un chanteur rondouillard, David Baker, et The Flaming Lips, qui signent chez Warner après pas mal d’années passées dans l’underground, mais devront attendre “The Soft bulletin” pour percer. Les new-yorkais de Sonic Youth sortent de l’underground, notamment grâce à l’album “Dirty”, sorti en 1992. En provenance de Californie, on se mange Rage Against The Machine (leur concert des Eurockéennes reste l’une des claques de ma vie, j’avais même acheté le poster “Bombtrack” avec Che Gevara en rentrant chez moi) et Red Hot Chili Peppers. Côté hard, les groupes se nomment Sepultura, Therapy ? ou Metallica.

L’Angleterre, royaume de la britpop et du trip hop

En Angleterre, si certains groupes marquants se séparent (The Happy Mondays, The Stone Roses), Primal Scream continue sa route, et de nouveaux noms apparaissent : Placebo, qui sort son premier album en 1996 (avec cette pochette d’un enfant qui tire sur ses paupières), Supergrass, ou Muse, qui apparait en 1999. Un groupe passe du rock à l’expérimentation, sans perdre son public : Radiohead, dont le “OK Computer” de 1997 est l’album référence de la période. Sinon, on découvre le trip hop (Massive Attack et son label Melankolic, Portishead, Tricky), et l’on découvre qu’à l’heure du CD, les samples de vinyles qui grattent, ça peut avoir une sacrée gueule. Initié entre autre par le label Creation (Teenage Fan Club,My Bloody Valentine), on voit passer – et ce fut une grande affaire dans les journaux – la britpop avec Blur, Oasis, Pulp, et tout un tas de groupes aujourd’hui disparus. Citons leurs noms, rien que pour le petit frisson de nostalgie : Marion, Menswear, Gene, Kula Shaker, The Bluetones. Parfois, la pop vient d’Irlande (The Cranberries) ou de Suède (The Cardigans).

Les papis font de la résistance

Du côté des artistes bien installés, U2 inaugure bien la décennie avec l’album “Achtung baby”, enregistré à Berlin. Merci à Bowie de lui avoir montré le chemin (la trilogie “Low”-“Heroes”-“Lodger”). Bowie se lance dans la drum and bass (“Earthling”), un genre resté un peu confidentiel bien qu’il ait, avec Goldie et Roni Size, des ambassadeurs convaincants. Everything but the Girl aussi se lance dans la drum and bass (l’album “Walking Wounded”) après avoir été remis sur le devant de la scène par un remix de “Missing” signé Todd Terry. Robert Wyatt reprend du service (“Shleep”), New Order (“Republic”) est toujours actif. Morrissey poursuit en solo l’aventure des Smiths avant de s’exiler aux USA, Franck Black trimbale sur scène son imposante carrure sans les Pixies, tandis que Jimmy Page et Robert Plant se reforment pour revisiter le répertoire de Led Zep façon world. Le carton world s’appelle d’ailleurs Buena Vista Social Club, une brochette de papis cubains réunis autour du guitariste Ry Cooder. En France et au delà, l’ex-Mano Negra Manu Chao part dans une aventure solo avec “Clandestino” et retient l’attention.

Rangeons les bûchers

Alors, même si dans les dîners en ville, on commence à revoir à la baisse cette décennie (ce qui, on vient de le voir, est tout à fait injustifié), souvenons-nous que, bien que nous écoutions les Fugees, “Born slippy” d’Underworld (popularisé par la BO de “Trainspotting”), “Canonball” des Breeders, Billy Ze Kick (“Mangez-moi, mangez moi, mangez moiiiiiiii”) ou la B.O. de “Pulp Fiction” dans les soirées, nous avons encore, gravés quelque part, les noms de ces groupes précieux qui nous ont accompagnés et qu’on ne sait pas trop classer : Eels, The Boo Radleys, Frank and Walters, Archive (période “Londinium”, après il y a à boire et à manger), Aztec Camera, le neurasthénique Jay Jay Johanson, Divine Comedy et les chansons lumineuses de Neil Hannon, Alpha, Grandaddy, Morphine et sa basse trafiquée, les assourdissants Mogwai, Stereolab, Baby Bird, Laika, The Sundays, Prefab Sprout, Trashcan Sinatras, James, Wedding Present, The Apartments, et même quelques-uns de ces groupes britpop aujourd’hui honnis, comme Shed Seven… un groupe dont le concert annulé à Besançon en mai 1996 m’a permis de connaître de folles nuits d’amour avec Becky Knwoles (Becky, si tu me lis, écris moi), une jolie anglaise rousse originaire de York, qui se souvenait avoir été servie par Rick Witter chez Sainsuburry’s, quelques années auparavant.

Jean-Marc Grosdemouge

Jean-Marc Grosdemouge