Le Pop Club : éloge du bavardage élégant
24 heures sur 24, la vie serait bien dure si l’on n’avait pas le “Pop Club” avec José Artur. Ce n’est pas moi qui le dit mais le générique de l’émission, interprété par Les Parisiennes.
C’est un rite immuable : quatre soirs par semaine, José Artur prend l’antenne en direct du salon Louis Deluc au Fouquet’s. Le “pop” est une émission culte née le 4 octobre 1965, qui a ses “sociétaires”, comme le Français. Un club “pop”, au sens de “popular” comme on dit outre-Manche. A propos des débuts de l’émission, José Artur ironise : “On mariait tous les genres. Mais en vieillissant, c’est devenu plus club que pop.” Dans les années soixante, l’émission avait lieu depuis le “bar noir” de la maison de Radio France, elle “était en avance, et on ne suivait pas les autres” précise l’animateur. Par “suivre”, Artur signifie copier. Ce sont au contraire les autres qui se sont mis à copier le “Pop” : “il vaut mieux être suivi que suiveur” sourit l’animateur. Il se murmure que les Anglais se branchaient sur Inter pour écouter les nouveautés qu’Artur rapportait des USA et que le monde lui enviait. En France surtout, les programmes télé de l’ORTF se terminant à 22 heures, au moment même où commençait l’émission, le “Pop Club” eut un impact énorme.
Un recordman de la parole
Depuis, celui qui se dit étonne d’être “un monument qu’on visite encore“, a atteint un record mondial : celui du nombre d’heures passées en direct au micro. Car il a “divorcé du théâtre” (il était comédien) et a décroché son premier cachet de radio en 1948. Et son “Pop Club” (un temps rebaptisé “L’heure du Pop”) dure depuis trente quatre ans. Quand on sait qu’il a parfois duré de trois à quatre heures cinq soirs par semaine, ça en fait du temps et des invités.
“Je ne peux pas rencontrer aujourd’hui un toubib, un avocat, un ministre, un chef d’Etat même, qui me dit qu’il n’écoutait pas le “Pop” à l’école ou à la faculté.” Divorcé du théâtre donc, José a, selon son expression “obtenu la garde des enfants : les Comédiens.” Et aujourd’hui, il en reçoit souvent, du lundi au jeudi de 22h 45 à minuit, au milieu des peintres, des écrivains, des musiciens, des chanteurs (le choix se fait avec son équipe) : “connu ou pas connu, pour moi ça ne veut absolument rien dire. Je pense qu’il faut des gens qui aient quelque chose à dire.“
C’est peut de cela qu’est née l’étiquette “underground” qui a pu être collée sur l’émission, dans laquelle l’animateur se garde de faire ce que fait la télé, qui “vole au secours du succès.” Comprenez qui ne parle que des méga-productions. Depuis quelques temps, le samedi avec “C’est pas dramatique”, le théâtre est spécialement à l’honneur, car sur France Inter, le vendredi soir est réservé à la chanson et au rap, grâce à la famille Foulquier (Jean-Louis avec “Pollen-Les copains d’abord” puis sa fille Ambre avec “Ti Mal”). L’émission étant enregistrée, cela laisse à José Artur beaucoup de temps entre le jeudi minuit et le lundi soir pour sortir et découvrir de nouvelles choses. Et justement, quand on a été comédien, on est plus indulgent envers les autres ? “Oui, répond-il. Et puis, j’ai une théorie affreuse qui est « même pour être mauvais dans ce métier, il faut travailler beaucoup. »“
Endroit luxueux pour ton feutré
On imagine bien certains intriguer pour se faire inviter au “Pop”, comme autrefois les solliciteurs à la cour de Versailles attendaient des années dans les antichambres avant d’obtenir une audience du roi. Ce soir là, on parlera de Prévert (que José Artur a bien connu : “c’est lui qui m’a appris à être moins superficiel“), de BD et d’un spectacle consacré aux Indiens.
Le maître des lieux trône en bout de table, décontracté (plus que son assistant qui tourne dans la pièce en lui faisant de grands signes : “C’est à toi. Antenne !“). Et l’on retrouve instantanément le ton “coin du feu” du “Pop.” Car si le son est feutré, c’est que le cadre luxueux du Fouquet’s l’est aussi. Et les propos de l’animateur sont en accord avec le lieu : “je dis n’importe quoi dans le fond, mais le véhicule est correct. Je fais passer en souriant des choses effarantes. Je dis ce que je pense. J’ai acheté cette liberté. Sans jouer les héros, il vrai que maintenant je suis quelqu’un qui existe dans la radio française, et qu’à l’horaire que j’ai on peut se permettre de dire des choses. Il paraît que je suis le seul à pouvoir dire « bite-con-couille » et qu’on croie que c’est une marque de luxe.“
Derrière ses petites lunettes, les yeux rieurs de l’animateur-cabotin (jamais avare de bons mots, petites phrases, citations, et anecdotes diverses), se posent rarement sur la chemise cartonnée et de couleur qu’il a disposée devant lui, sur la table, et où il a griffonné pêle-même des mots que lui seul saurait déchiffrer. Un disque, et on change d’invité : “Au suivant, lance-t-il. Déshabillez vous ! Gardez le slip et les chaussettes !“
Un animateur bavard et facétieux
Si l’on se fie à sa maxime (“Il vaut mieux être copié que copieur“), José Artur peut s’estimer heureux car le “Pop” est très copié aujourd’hui : “il y a des « Pop Clubs » sur toutes les radios.” Mais l’”interview-monologue”, dont il est l’inventeur, est inimitable. C’est bien connu, parlez de lui à José, il n’y a que cela qui l’intéresse : “on y gagne, parce que quand l’invité vient, il me gêne plutôt qu’autre chose.“
Sont-ce des restes de sa vie de comédien ? “Non, c’est que je suis né comme ça, rectifie-t-il. Dans mon berceau, je parlais déjà énormément à la sage-femme. Je suis un bavard, et j’ai réussi -paradoxe- à me faire payer pour ça.” Il parle même la nuit et il lui arrive de se contredire ! Le moment des infos est une occasion rêvée pour José de faire valoir son côté taquin à travers la toponymes de nos beaux villages de France : chaque soir, il cite une localité au nom plaisant par un rituel “Je crois qu’à Machin-chose, il est minuit aussi.” S’il se base sur le dictionnaire des communes, l’idée lui est venue d’un docteur toulousain qui lui a écrit un jour qu’il citait toujours Paris, mais qu’iil est la même heure à Toulouse. Voilà pour ceux qui l’accuseraient de faire du parisianisme.
Artur est comme un potache, tout amusé de ses bonnes blagues, comme le jour où il s’est amusé à diffuser “Le Métèque” de Moustaki en boucle, comme on fait chez soi, en attendant que la direction appelle. Ce qu’elle fit, au bout de la cinquième diffusion. Du matraquage en règle. Il a aussi soutenu deux chansons de Pierre Perret en son temps : “Adèle” et “le zizi.” Un pied de nez aux gens bien pensant, qu’il abhorre. Et les “gens qui se gobent” ? Ils ont le don d’énerver Artur. La vedette ? “C’est le ’Pop’, mais si on ne m’aime pas, cette émission est insupportable : je parle tout le temps, je blague, je me répète. Je suis un peu comme un vieil ami qu’on invite à dîner parce qu’il vous fait rire, qu’il est gentil, se tient bien à table, connaît des trucs, mais s’il vous énerve, et qu’il a craché deux fois dans la soupe, on ne l’invite plus.“
Le “Pop Club”, c’est un peu ça : une sorte d’institution. “Si au fond, un jour, on me demandait ce que je veux faire, prophétise-t-il, quand j’aurai cent ans – parce qu’avant non, c’est faire une hebdomadaire de trois-quatre heures en radio et faire une mensuelle de 25 minutes sur le théâtre à la télé. Je ferai ça jusqu’à cent quarante ans, et après je ne sais pas ce que je ferai.“
photo : © Radio France – Roger Picard