Jérémie Kisling "Monsieur Obsolète"
On savait déjà que François Pinard, patron du label bisontin avait bon goût puisqu’il nous a permis de découvrir l’un des trublions les plus prometteurs de la chanson française : Aldebert. Cela se confirme, puisqu’il vient de dénicher de l’autre côté des Alpes singulier.
Jérémie Kisling est le seul artiste francophone qui soit un croisement crédible de Nick Drake et The Apartments, rien de moins. Et je pèse mes mots : depuis “Drift” et “A life full of farewells” de The Appartments, on avait rarement été aussi ému par quelques notes de trompettes, comme sur le cha-cha “Les abeilles”, “Le sens des affaires” (qui le voit jouer au crooner espagnol) ou le poignant “J’ai trente ans”. Le narrateur “qui détourne les prunelles” quand les filles sont belles se demande si dans dix ans il ira “à tire d’ailes ou bien les pieds devant.”
A propos de la gent féminine, il dit aussi avoir “suspendu son balcon hors d’atteinte des filles” (“La liste”). Comme chez Katerine, le verbe est ciselé, et la voix traîne un peu. Ici l’accent n’est pas vendéen mais suisse. De Lausanne plus précisément. Et les références que ce Monsieur Obsolète (son précédent pseudonyme) brasse sont multiples, comme les capitaux qui transitent par les coffres du pays : on pense à des chansons comme “Jolie Louise” de Daniel Lannois (“Le bonnet”), “Voir un ami pleurer” de Brel (“Les courants d’air”) ou “Le Sud” de Nino Ferrer (“Le manège” et son orgue bucolique, un titre qui s’aventure chez Stéréolab), mais Kisling est aussi capable de pondre un chanson sidérante, telle “Carambar”. Il y explique que “les fille c’est chouette” comme une baignoire qu’on débouche ou de la crème vanille à la louche. Au moment même où je l’écris, je m’aperçois que je rends ces paroles un peu bizarres, et je vous prie de m’en excuser. Mais prenez la peine d’écouter cette chanson, ne vous attendez pas à une chanson rigolote. Apprêtez-vous même à avoir la gorge nouée, car cette balade juste accompagnée par une guitare, n’est pas une bluette. Cet album, qui commence sur les chapeaux de roue (“J’ai trente ans” est assénée de manière assez rageuse, au fond),finit doucement, tendrement, par quatre ballades. La dernière, “Le bon moment”, au piano, le referme de façon dépouillée. Et magique.
Si je n’étais pas un pigiste précaire, je vous dirais “je rembourse chaque acheteur du disque mécontent.” Ce n’est pas que je crains que quelqu’un se présente en me disant “ce disque n’est pas bon”, mais ce genre de phrase amène toujours son lot d’aigrefins. Alors je dirai à la manière de Pivot “si vous ne vous intéressez pas à Kisling après tout ce que je vous ai dit, je ne sers à rien.” Soyez choux, ne me démontrez pas le contraire.
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Jean-Marc Grosdemouge
Jérémie Kisling “Monsieur Obsolète”, 1 CD (Note a bene/Naïve), 2003
[youtube https://www.youtube.com/watch?v=UDrPuCuBE6Y&w=560&h=315]