Radiohead "Hail to the thief"
Attention à ne pas l’écrire trop vite cette chronique. Faire bien attention à chaque mot, encore plus que d’habitude. Car “Hail to the thief” est l’objet de toutes les convoitises depuis plusieurs mois, album attendu, puis annoncé, téléchargé par les nerds du monde entier.
Pour ne pas gâcher mon plaisir, et aussi parce que les versions circulant sur le Net étaient des versions non mixées (et non approuvées par le groupe, pourtant favorable à la circulation de ses oeuvres en temps normal), je n’ai rien téléchargé.
Comme tout le monde, j’ai guetté le single “There there” à la radio et à la télé. Puis comme tous les journalistes, j’ai eu des envies de meurtres en sachant que les grèves retardaient l’arrivée du précieux opus dans ma boite aux lettres. Il est là. Et comme un gamin au matin de Noël, où comme un puceau qui dégraffe son premier soutif, je me suis précipité sur le celophane, que j’ai retiré promptement. “Hail to the thief” (“salut au voleur”, référence à Bush, qui a volé son élection) ne remet pas en cause le fait que Radiohead est le meilleur groupe rock du monde. Mais si 2003 était un championnat pour savoir qui a sorti le meilleur disque de l’année (résultat en décembre), on sent dores et déjà que le groupe n’a pas dépassé son record personnel. Bien sûr, ça commence fort (“2 + 2 = 5”), mais on n’est vite perdus (“Sit Down. Stand Up”) avant de retrouver nos marques avec un morceau dont le piano évoque “Karma police” (“Sail to the Moon”). Cet album révèle des surprises : “Myxamatosis”, par exemple, est le type même de la chanson (rythme plombé, arrangements caverneux) qu’on n’aurait jamais voulu entendre chez Radiohead. Des chansons comme ça (qui manquent un peu d’âme, pour tout dire), d’autres savent en faire. Heureusement que les quelques notes claires de guitare de “Scatterbrain” savent immédiatement nous remettre du baume au coeur. “A Wolf at the Door”, qui clôt l’album (en beauté), aurait pu faire partie de “OK Computer”, l’album-synthèse de Radiohead. En 1997, entre pop et bizarrerie, le quintette d’Oxford était au sommet de son art. Les deux albums suivant, “Kid A” et “Amnesiac” étaient des albums entiers, barrés, futuristes, qui séduisirent dans leur jusqu’au boutisme.
Radiohead revient désormais aux guitares, mais mollement, comme à regret de quitter son délire futuriste. On n’est pas dans la pop anglaise de “Pablo Honey” ou “The bends”, on n’est pas dans un chef d’oeuvre “OK Computer” bis. Pas plus qu’on est dans la radicalité. On est où alors ? Dans un marais ? Certes non. Bien sûr, la bande de Thom Yorke reste l’un des plus grands groupes en activité, et les fans purs et durs prendront plaisir à retrouver ce son Radiohead si identifiable. Et on connaît assez leur talent pour revenir dans deux à trois ans avec un nouvel album excitant. “Hail to the thief” est un album de transition. Pas sûr que dans vingt ans, il fasse partie des albums marquants de la discographie du groupe. Déroutant, cet album (qui est tout de même meilleur que le tout venant musical) l’est, en effet. Décourageant, pas du tout : il révèle quelques charmes dans l’immédiat, et nous donne surtout envie de savoir ce que ces cinq-là nous préparent pour la prochaine fois.
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Radiohead “Hail to the thief”, 1 CD (Parlophone/EMI), 2003