Psy 4 De La Rime : plus belle la vie ?
“Ils ont détruit nos cités mais pas notre musique” : voilà le mot d’ordre non pas de la rentrée politique et sociale agitée, mais de la rentrée rap. Si au Plan d’Aou, d’où viennent les les Psy 4 de la Rime, les tours tombent, les problèmes, eux, restent. Après avoir imposé en 2002 (triste année) avec “Block party” un rap intelligent et intelligible, conscient mais qui ne dépasse pas les bornes, les Phocéens toujours saoûlés d’être dans le fossé, reviennent en 2005 (triste année encore) avec “Enfants de la lune”. Et rien ne va mieux. On venait parler d’un album et on a parlé des cités, de la jeunesse qu’on désepère, et de la politique qui ressemble à n’importe quoi. Bien plus proches de Guédiguian que de Pagnol, ces Psy 4 de la Rime !
Propos recueillis par Jean-Marc Grosdemouge
Epiphanies : Votre premier album “Block party” a été disque d’or. C’est une satisfaction de savoir que votre album a donc touché un public large, bien plus large que le public des aficionados de hip hop ? Par exemple, sur M la Music, la chronique de votre premier disque, “Block party”, est la plus vue de toutes, alors que nous sommes un site généraliste…
Alonzo : On en parlait il y a peu avec Shurik’n qui nous disait que le public du rap en France, c’est 40 000 personnes. Dès que tu dépasses ce chiffre de ventes, tu touches d’autres personnes. Le but de la musique, c’est de toucher le plus de gens possible. Toi même tu n’écoutes pas spécialement du hip hop mais le disque est parvenu à toi, donc c’est plutôt réussi.
Soprano : Nous on écoute plein de choses, et pas que dans le rap. On aime beaucoup quelqu’un comme Tiken Jah Fakoly. Des gens comme Brel ou Balavoine, on trouve que ce sont de gros tueurs. Tracy Chapman aussi. Quand on a fait le morceau “Enfants de la lune” en duo avec Anna, la chanteuse de Mecano, on a vu que la musique n’a pas frontière : s’il y a de l’émotion, de la vibe, du texte, qu’on arrive à cerner l’atmosphère, on peut arriver à traverser des frontières musicales. Donc ça nous fait grave plaisir que notre album ait dépassé les frontières du rap.
Donc on oublie le tacle à Michel Berger sur le premier album ?
Soprano : C’est pas un tacle ! Les gens l’ont mal compris ! Michel Berger fait partie de notre top 10 artistes.
Alonzo : C’était juste pour dire que peu de gens de notre génération écoutent Michel Berger. Peut être que les gens de notre génération ne se reconnaissent pas en lui : il parlait peu du quotidien, des problèmes. Il se concentrait sur des chansons d’amour, même si c’était très bien écrit.
Soprano (se tournant vers Alonzo) : Je vais te dire un truc, tu vas péter un plomb. “Le Monde est stone” qu’on a utilisé sur notre premier single, c’est de lui. On l’aime tous, on est des gros fans.
Michel Berger était fils d’un grand chirurgien, il a toujours pété dans la soie. Tu vas me dire que c’est peut être pour ça qu’il n’avait pas de vrai discours sur le quotidien. Mais dans la chanson française, même les chanteurs qui ne sortent pas du 16e chantent bien souvent des trucs bonbons sucrés. La grande avancée du rap c’est que le mec qui vient pas des beaux quartiers prend la parole pour raconter sa réalité.
Soprano : Nous, quand on raconte les problèmes financiers de nos parents, ce sont des vrais problèmes financiers ! Certaines semaines, le frigo était vide. On ne dit pas ça pour faire la manche, c’est du vécu. Pareil pour les ascenceurs bloqués qui sentent la pisse. Dans son spectacle, Djamel dit “l’ascenceur social est bloqué au rez de chaussée et il sent la pisse”. Moi, cette phrase elle m’a touché grave parce que c’est vraiment notre quotidien chez nous. c’est pour de vrai. C’est peut être pour ça que certians mettent le rap de côté : c’est la réalité, ça leur fait peur, c’est le truc qui est en bas de chez eux, trop près. Ils préfèrent voir à travers un écran de télé, c’est plus facile pour zapper. Tu culpabilises moins. Quand Djamel, encore lui, parle des ZEP, c’est vrai : moi, en quatrième techno, on m’a dit “tu vas faire des avions” et quand je suis arrivé, on a réappris l’alphabet en anglais (il chante : “eille, bi, ci, di, i, effe, jiiiiiiii”). En quatrième, tu vas jusqu’à J, en troisième, tu vas de K à Z. Ce qu’on dit c’est réel. ce que les gens aiment dans le rap, c’est le côté direct, et cru : les gens qui chantent cette musique la “vivent” plus, mais ça fait peur à pas mal de gens aussi. Les gens ont peur de ce qu’ils ne connaissent pas. Sur nos labels respectifs, on signe des gens qui ont des plumes incroyables. Des mecs comme Akhenaton ou Solaar nous rendent fiers, car ils ont percé grâce à leur plume. Ils ont montré que le rap, ce n’est pas les clichés véhiculés par TF1.
C’est à dire ?
Soprano : Dès qu’il y a des élections, ils présentent des jeunes à casquettes qui cassent des voitures. Mais personne ne cherche à savoir pourquoi des gens cassent des voitures, fument ou vendent du shit. C’est à travers le rap que tu peux trouver ces petites réponses. Entre les lignes, tu peux percevoir les S.O.S. des quartiers, ces ghettos que tu trouves dans la France entière.
Pour un homme politique, ce serait utile d’écouter du rap…
Alonzo : Oui, ce serait utile, parce que dans le rap, ce sont nos mentalités qui sont gravées sur disque. Se pencher sur ce que les jeunes ont dans le cooeur, ce qu’ils pensent de la vie, de la France, du système, c’est important. On est l’avenir de la France, il faut s’intéresser à nos opinions. Quand il faut voter, comme pour la Constitution Européenne, personne ne nous explique rien non plus. Qui va nous dire pour quoi voter ? Dans les JT, il y a un langage tellement soutenu qu’on comprend un mot sur trois pour certains.
Soprano : On ne parle pas que des quartiers. On parle de la jeunesse de France. Dans l’un des morceaux, on explique que le jeunesse est “instruite par une politique ridée et des émissions télé en pleine puberté”. Beaucoup de jeunes sont perdus au milieu de tout ça : TF1 nous montre la campagne, qui n’est pas la réalité de la majeure partie de ce que vivent les jeunes, et M6 nous présent des jeunes dans des lofts, et eux non plus ne représentent pas toute la jeunesse française. Nous, on écrit nos vies à nous, et on e content quand on sent que des gsne comprennent qu’on est des jeunes à part entière. Qu’on soit noirs, arabes, des quartiers ou pas, on est des jeunes à part entière.
Avec un vrai discours…
Soprano : On essaie de faire avancer les choses, de communiquer. Lors des interviews, on fait plus de la communication que de la promo d’album. Parfois, on ne parle plus de musique, c’est une conversation, parce qu’on essaie d’expliquer que pour avancer, il faut qu’il y ait communication. Quand on fait un morceau sur la police, on ne dit pas “ce sont tous des bâtards”. Certains font bien leur taf, d’autres mettent nos blocs sous embargo : pour certains, un mec avec une casquette a forcément du shit dans les poches. Quand TF1 montent les quartiers, ils montrent les dealers mais floutent les acheteurs. Souvent les acheteurs, c’est pas des mecs du quartier (sourire), ce sont des grosses BM, mais ça ont le dit jamais. On le dit pas. C’est dommage parce que c’est à cause de ça que Le Pen passe. Les flics sont pas là pour parler avec les jeunes, alors ils se renferment sur eux-mêmes…
C’est vrai ce que vous dites sur le shit. Pour continuer à parler de télé, il y a la “Boite à Questions” sur Canal +. Souvent, on demande à la star, blanche et riche, si elle préfère un petit pétard ou un verre de rouge… Souvent cette personne avoue fumer du shit. Elle ne sera pas inquiétée pour ça, et va l’acheter…
Soprano : Elle va l’acheter chez nous ! (sourire) Djamel, encore lui, a dit “si on avait légalisé le shit, on fêterait le marocain nouveau” ! (rire)
Finalement, faire du rap, c’est être un reporter des cités. Des reporters qui sont moins “objectifs” que les journalistes, mais pour le coup peut être plus honnêtes que certains ?
Soprano : Tu sais, beaucoup de rappeurs font le contraire.
Oui, le rap yéyé. On ne citera pas de noms…
Soprano : Il y a aussi ceux qui veulent faire les gangsters, je-sors-de-prison-j’ai-tué-des-gens-je-porte-des-flingues. Dans le rap, comme dans le rock, il faut savoir faire du tri. Dans la société, y’a de bons, des cons, des mauvais, des gens pas intelligents, ou qui se cherchent. Pareil dans le rap : certains amènent un bon discours, font comprendre des choses. Si un politicien écoute les textes de Kery James, il va comprendre que tout le monde ne pense pas à brûler les voitures et traîner dans la rue. S’il écoute d’autres artistes, il va se dire “j’avais raison : les jeunes sont tous des voyous”.
Souvent, dans le rap, quand on veut avoir un message, l’écueil, c’est de franchir la ligne jaune, de tomber dans la diffamation ou les propos choquants. C’est une façon de se faire entendre. C’est le cas avec Sniper. Vous, vous évitez ça. Il n’y a pas de procès…
Soprano : Il y a des trucs, bien qu’on ait un discours positif. On avait fait un concert un jour, et après coup, nous avons été accusés d’incitation à la violence et de propos antisémites, d’insultes aux forces de la police. On nous a tout sorti. Le seul problème, c’est que le concert avait été filmé et qu’on avait des preuves du contraire. Et il n’y a pas de suites à ce jour. Sur le nouvel album on dit “depuis quand le rap est synonyme de gangstérisme, d’antisémitisme et de majors qui font du proxénétisme ? On est vraiment pour un monde métis”. Les médias qui n’aiment pas le rap, et les gens qui gravitent autour des médias et s’en prennent à Sniper ou La Rumeur, ont la même démarche que certains flics qui se disent “il a une casquette, il a dit une fois “Marine je la baise”, c’est un voyou”. Il n’essaie pas de comprendre le contexte, les arguments. Quand je dit “il”, là, je parle de Sarkozy dans l’affaire Sniper.
Finalement votre connection avec IAM, outre Marseille et le fait que vous êtes sur le label d’Akhénaton, vient aussi du fait que vous êtes dans leur état d’esprit. Dans les années 90, on avait d’un côté NTM qui ruait dans les brancards et IAM qui jouaient les grands frères. Vous vous retrouvez dans la manière de faire d’IAM ?
Soprano : On se retrouve dans les deux : le côté provoc’ de NTM aussi. Quand on a su qu’il y avait un groupe qui s’appelait Nique Ta Mère, ah mais putain chez nous on était morts de rire ! On a fait “c’est de la bombe”. Limite on les connaissait juste pour leur nom (sourire). Des gens disaient “ah ouais les mec carrément ils s’appellent comme ça” (rire). T’imagines le truc ? Après ils ont ouvert les portes au côté hargneux et provoc du rap, le fait du dire “merde y’a urgence, ça se passe mal pour beaucoup de jeunes”.
Alonzo : Kool Shen écrit super bien. Il interprète bien ses textes. C’est normal qu’on en parle encore. C’est comme IAM : ce sont des artistes qui ont tout dit. Sur l’album “Ombre et Lumière” il y avait un texte sur l’Irak, Sadam Hussein, alors qu’aujourd’hui c’est dans l’actu. Ils allaient faire des concerts avec les rcokeurs, parce qu’à l’époque la scène rap, c’était pas ça. Ils allaient faire passer le message à un public pas forcément rap pour en arriver là où il sont sont. Chapeau à ces deux groupes en fait. Ils ont défoncé des portes.
On a parlé tout à l’heure de politique. Votre premier album est sorti en 2002. On y voyait une cité au crépuscule. Aujourd’hui, en 2005, vous reprenez la même cité en couverture, mais c’est la nuit, et les immeubles sont défoncés.
Soprano : Je vais continuer sur ta métaphore. En 2002, c’est le crépuscule, on va se coucher : Le Pen est arrivé et on va voter pour un escroc pour ne pas le laisser passer. Mais derrière arrive celui qui prend les clés de nos menotes. C’est Sarkozy, qui nous empêche d’être dans les halls, veut tout nettoyer au Kärcher. Dans nos cités, on a frôlé la “mort” avec Le Pen, mais Chirac, ça nous sauve pas. Et Sarkozy encore moins. Ils sont en train détruire nos cités, mais comme dit Akhénaton, “c’est toujours la même merde derrière la dernière couche de peinture”. Ce n’est pas en détruisant les cités ou en interdisant aux jeunes de discuter dans les halls qu’on va changer la société. Voilà la métaphore de cette double pochette.
En trois ans, rien n’a changé. La situation a même empiré. Je ne sais pas comment vous le resentez, mâis le risque d’avoir à nouveau Le Pen au second tour des élections présidentielles en 2007, il est énorme…
Soprano : Bien sûr, le risque est présent. Chaque fois que j’allume TF1, je te jure qu’il y a toujours un truc sur les cités, sur l’Islam, ou sur le shit. C’est comme s’ils servaient de notre image pour leur campagne électorale. Puis d’autres arrivent dans les cités en disant “votez pour moi !”, “Jean-Marie est passé en 2002 alors votez pour moi”. Nous on est perdus au milieu de tout ça, mais on a compris que Sarkozy, sous prétexte de vouloir faire avancer la France, ne veut que le trône de Chirac. Mais pour nous, ça a empiré.