Christian Eudeline "Anti yéyé"
Le journaliste Christian Eudeline semble avoir fait sienne la formule selon laquelle le yéyé est “un mouvement de jeunes cons dirigés par des vieux cons”. Et tel Nick Tosches et ses “Héros oubliés du rock n’ roll”, il rend hommage aux seconds couteaux : Hector, Zouzou, Les Problèmes, Stella, Les Lionceaux, et même… Stone et Charden.
En 1981, dans un livre aujourd’hui introuvable ou presque, Alice Hubel s’était amusée à retrouver les héros des sixties. Et tous défilaient dans les pages du livre “Des sunset Boulevard par milliers” : Frankie Jordan redevenu dentiste et officiant à Passy, Noël Deschamps, Chantal Kelly, Frank Alamo et son sourire Ultra-Brite, Claudine Coppin, de grands buveurs de lait du nom de Dany Logan et Les Pirates, ou Long Chris, le papa d’Adeline Blondiau, qui épousa Johnny.
Johnny : c’est son disque “T’aimer follement” qui ouvrit le bal du yé-yé. Le mouvement eut ses idoles : Jean-Pierre Pasqualini en a présenté pas mal dans on livre “Les Yé-yé” sorti chez Hors Collection à la fin de l’année dernière (voir notre article) mais il eut aussi ses seconds couteaux. Et comme toujours, ils valent bien les têtes d’affiche : Le Petit Prince, Jocelyne, Benjamin, José Salcy, Monty, Jacky Moulière, Vigon, Danny Boy et ses Pénitents, etc. On ne sait pas très bien quelle ligne Christian Eudeline a choisie pour sélectionner ceux qui ont les honneurs de son livre. En effet, quel point commun entre des amuseurs tels que Les Problèmes (futurs Charlots) et le trop méconnu Ronnie Bird ? Rien si ce n’est que tous les gens de ce livre sont soit restés méconnus en étant sincères dans leur démarche, soit sont devenus connus en se posant en artistes anti-yéyé. Avant de crier “Atol les opticiens !” Antoine fit partie de ceux-là, et il ouvrit la voie à Michel Polnareff et à Jacques Dutronc.
Mais bien avant le centralien Antoine Muraccioli, Hector, le “Chopin du Twist” (cheveux longs, bouchon de bidet autour du cou, et qui ne se déplacait jamais sans son valet) et Stella qui écoutait les idoles et se disait “Pourquoi pas moi ?”, se moquaient gentiment du rock édulcoré de chez nous. Au fil des pages, on croise les artistes dans des concerts miteux, et l’on découvre les obscurs Pollux, Gypsys, Somethings et autre Boots, mais aussi Jean-Pierre Kalfon, qui fera carrière en tant que comédien, et Elsa Leroy, ex-Miss “Mademoiselle Age Tendre” qui enregistra quelques titres pour Barclay avant de se marier, ou Les Lionceaux, un groupe de Reims. Car les anti-yéyés, c’est la réaction de la province et des classes moyennes contre le parisianisme des chanteurs bourgeois comme Frank Alamo, de la famille des industriels Grandin.
Si Jean-Pierre Pasqualini a exploré le côté clinquant et grand public du yéyé, Christian Eudeline en explore la face sombre, et, à la manière d’un Nick Tosches français, plonge dans les méandres de l’industrie du disque, les guéguerres entre directeurs artistiques d’un même label (chez Vogue, il y avait l’écurie de jacques Wolfsohn et celle de Christian Fechner), le turn-over chez les musiciens accompagnateurs, les tournée où il faut penser à toucher son cachet avant d’entrer en scène pour ne pas prendre le risque de jouer à l’oeil. Avec un auteur comme Eudeline, le Panthéon des destins brisés du music-hall français aura bientôt autant de pensionnaires que celui du music-hall américain.
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Jean-Marc Grosdemouge
Christian Eudeline “Anti yéyé, une autre histoire des sixties”, 438 pages, Editions Denoël.