La Route du Rock, Saint Malo, 11, 12 et 13 août 2006

La Route du Rock, Saint Malo, 11, 12 et 13 août 2006

Si aucune découverte n’a proprement retourné nos cerveaux ni caressé nos oreilles de manière incroyable, cette année la Route du Rock, qui opérait un retour aux fondamentaux (exit l’électronique) a vu les têtes d’affiche tenir toutes leurs promesses.

Cette année, si on était artiste, pour gagner son ticket pour le Fort de Sant Père, il fallait être Américain (Cat Power, Why ?, Band Of Horses), si possible new-yorkais (TV On the Radio, Liars, Radio 4, Grizzly Bear), ou Brittanique (Stuart A. Staples, Pipettes) et si possible Ecossais (Belle and Sebastian, Isobel Campbel, Franz Ferdinand, Mogwai). Revue de détail.

Vendredi, si les Australiens Howling Bells séduisaient par leurs ambiances (c’est un groupe Bella Union, le label des Cocteau Twins) et malgré leur manque de mélodies, les Canadiens Island laissaient un poil perplexe : certes, de l’autre côté de l’Atlantique “festif” n’est pas un terme péjoratif quand il est acollé au mot “rock” mais ces cousins d’Arcade Fire ne sont pas aussi émouvants que ces derniers. Echappé du combo hip hop Clouddead, Why ? (qu’on a vu à la fin du set de Island) représentait le formidable label hip hop Anticon mais avec une musique bien plus complexe que cette simple étiquette. Entre folk, scansion rap et vibraphone, Yoni Wolf déroute l’auditeur… avec bonheur. On a pu goûter également aux sets réussis de Calexico (Burns et Convertino se sont fendus d’un hommage à Arthur Lee de Love en reprenant “Alone again or” version tex mex) et de Mogwai : les Ecossais furent soniques et ébouriffants, comme toujours. Il fallait beaucoup de courage ensuite pour ensuite s’avaler le set de Liars. Le rock iconoclaste de ces Berlinois d’adoption (les membres du groupe sont natifs de Brooklyn) aurait mérité une meilleure programmation : une autre heure (pas si tard en tout cas, car la fatigue n’aide pas à faire ami-ami avec cette musique) ou un autre lieu. Peu de festivaliers osèrent la rencontre avec cet art mutant et bruitiste.

Samedi, on réussissait à voir la fin du joli concert du Tindersticks Stuart A. Staples au Palais du Grand Large avant de rejoindre le Fort pour y entendre (et surtout y voir) des Pipettes mignonnes mais un brin anecdotiques. Certes, Phil Spector est souvent évoqué quand on parle de ces Anglaises, mais comme ce sont elles et pas Brian Wilson qui écrivent leurs chansons, ça ne va pas bien loin. Belle and Sebastian, c’est tout de suite autre chose : ce groupe étendard de la nation pop a beau écrire des chansons follement classes, il se démène sur scène, et va puiser jusque dans son premier album, “Tigermilk”, les titres qui composent le set du soir. On n’avait jamais vu Stuart Murdoch et les siens en live, mais on ne l’imaginait pas aussi zébulon. Le groupe précédent ayant annoncé qu’il fallait se dépecher de danser car c’était la dernière occasion de la soirée, Murdoch propose même de faire revenir une Pipette sur scène. Dans la foule, un autre Stuart (Staples) n’en perd pas une miette. Cat Power, on l’a déjà vue, et c’était un soir “sans” (voir notre article), mais là, en compagnie du Memphis Rythm Band, quelle grande dame ! C’est à une “résurrection” en direct qu’on a cru assister. Alors qu’elle annulait sa tournée ce printemps pour cause d’ennuis de santé, c’est une femme vitaminée et vocalement irréprochable qui était là ce soir. Chan Marchall a assuré une bonne partie des chansons de son dernier album, le magnifique “The Greatest”, ainsi que quelques titres en solo. On n’aurait jamais imaginé voir un concert de Cat Power aussi beau et bouleversant, et il faut bien le dire : à l’avenir, on arrêtera de ricaner en parlant de Cat Power et de se concerts loupés. C’en est fini de cette délectation morbide de certains qui se plaisaient à aller voir sur scène une fille malade de timidité, rongée par le trac et le mal-être. Dans la foulée, TV On The Radio offrait un set fort honorable, quoiqu’un brin inférieur à celui de 2004, avant des Radio 4 bien sans plus.

Dimanche, Grizzly Bear (qui avaient déjà été programmés vendredi au Palais du Grand Large) remplacaient de fort elle manière les Television Personnalities manquants à coup de jolies chansons atmosphériques et de voix réverbérées. Vinrent ensuite The Spinto Band puis Katerine, en short blanc et le haut du corps peint, et aussi foufou qu’aux dernières Eurockéennes de Belfort. On avait un peu regrétté qu’à cette occasion il se soit moqué d’une équipe de foot locale, mais comme il s’en est pris ce week end au drapeau du conseil général de Vendée, dont il est originaire, il faut bien s’incliner : Katerine s’en prend à tout le monde, c’est gentil et marrant, il ne faut pas y voir malice. Son show est toujours aussi “borderline”, comme la chanson éponyme. Avant de découvrir Band of Horses, aussi passionnants que The National programmés le même jour et la même heure l’an passé, on a revu Franz Ferdinand (ça faisait la quatrième fois en plus de deux ans), toujours aussi entraînants, et de plus en plus solides sur scène. Avec leurs hymnes, Kapranos et sa bande font danser les filles… et les garçons. Et réussissent à réconcilier les auditeurs d’Europe 2 et ceux de Bernard Lenoir… on espère juste que ce sont les premiers qui vont faire le premier pas et s’intéresser à ce que diffuse le second.

Peu francophone (seul Katerine a chanté dans la langue de Molière, sa compagne Helena Noguerra alias Dillinger Girl chantant en anglais) et pas du tout électro, cette Route qui proclamait (et a démontré) que la pop n’est pas morte, s’est tout de même achevée sur un set de Chloé, la DJette du Pulp promulguant une techno sombre, granuleuse et texturée propre à mettre en transe les quelques festivaliers qui s’essayèrent à danser dans la nuit de dimanche à lundi, nuit d’ailleurs de plus en plus froide, plongée quelque part entre chaos et extase. La pluie a encore épargné le Fort cette année (seules quelques gouttes sont tombées dimanche, trois fois rien) et on a eu notre lot de bons décibels. On dirait presque que ça sent la routine.

première publication : lundi 14 août 2006

Jean-Marc Grosdemouge