Gavin Bryars "Jesus' Blood Never Failed Me Yet"
Ceux qui suivent Epiphanies-mag.com depuis quelques mois ont bien compris que le but de ce site n’est pas de traiter de l’actualité culturelle en courant après la nouveauté mais bel et bien de chercher une part de divin et de beauté dans les livres, les films et la musique. On ne pouvait donc pas, six mois après nos débuts, continuer à garder le silence sur une oeuvre aussi singulière que “Jesus’ Blood Never Failed Me Yet”. Oubli désormais réparé.
C’est une boucle entêtante : “Jesus’ blood never failed me yet / Never failed me yet / Jesus’ blood never failed me yet / There’s one thing I know / For he loves me so”. Et cette boucle a une histoire : en 1971, Gavin Bryars réalisait un film sur les clochards de Londres, près de Elephant and Castle et Waterloo Station.
De nombreux zonards ivres, s’approchaient de la caméra pour chanter. Et un homme, qui lui ne buvait pas, s’est un jour approché de la caméra pour chanter ces quelques mots : “le sang de Jésus ne m’a jamais abandonné / Jamais abandonné / Le sang de Jésus ne m’a jamais abandonné / C’est une chose que je sais / Tout comme je sais qu’il m’aime”. La séquence ne sera pas utilisée pour le film, mais pas perdue pour autant.
Un jour, en l’écoutant chez lui, Gavin Bryars se rend compte que le clochard chante juste, et parfaitement en rythme. Il décide de composer un arrangement au piano pour magnifier ce petit trésor de chanson glané au fil des rues. Et c’est alors qu’il travaille sur cette musique, dans un studio d’enregistrement qu’il prend conscience de son pouvoir magique sur les auditeurs : rentré à Leicester, Bryars se rend aux Beaux Arts pour enregistrer ce morceau. Laissant tourner la bande pour en faire une copie, il part prendre un café, revient… et trouve des tas d’auditeurs près de la console, en train de pleurer doucement, émus jusqu’au trognon par ce chant.
Publié par Brian Eno dans la foulée sur le label Obscure, “Jesus’ Blood Never Failed Me Yet” a fait l’objet d’une réédition en 1993 sur la label de Philip Glass, Point Music, que nous vous proposons d’écouter ici. Avec la présence de Tom Waits, autre voix écorchée et émouvante. Le clochard inconnu, lui, est mort sans savoir que sa “petite chanson” était devenue, avec l’aide de quelques mélomanes, un pur chef d’oeuvre.
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Jean-Marc Grosdemouge