Marguerite Yourcenar "L'oeuvre au noir"

Marguerite Yourcenar "L'oeuvre au noir"

En mai 1968, les pavés volent Quartier Latin et ce mois-là, Marguerite Yourcenar publie “L’oeuvre au noir”. Récompensé par le prix Femina, le roman sera lui aussi une grosse pierre, blanche, dans la littérature française. Depuis, peu de romans ont réussi à marier une si belle langue et une documentation historique si riche.

Depuis Yourcenar, des femmes sont entrées à l’Académie Française, mais l’histoire retiendra que c’est la Belge Marguerite de Crayencour qui fut la première à siéger sous le dôme du quai Conti.

Le roman fait référence à l’alchimie : selon la tradition, il faut successivement passer par l’œuvre au noir, au blanc, et enfin au rouge pour accomplir la transmutation du plomb en or. Car le héros, Zénon, est un homme de sciences, de lettres, médecin et alchimiste qui est jugé hérétiques un peu trop osés pour l’époque.

Bien sûr, il y a le style Yourcenar, cette façon singulière d’alanguir la phrase (il faut la lire doucement, comme on savoure une liqueur très élaborée), un vocabulaire très recherché (seul Huysmans, notamment dans “A rebours” avait fait aussi bien avant elle), mais ce que “L’Oeuvre au noir” nous apprend page après page c’est que dans cette fin du Moyen Age qui commence à ressembler à ce qu’on appellera plus tard la Renaissance, si des progrès voient le jour, en matière de sciences et de techniques, les esprits sont encore calfeutrés dans des certitudes religieuses, mais aussi des superstitions qui ont la vie dure. Le tort de Zénon ? Il a des intuitions extraordinaires sur ce qu’il reste à découvrir sur le corps, l’âme, la mécanique des objets et des hommes, mais il a raison très tôt.

A l’époque décrite par Yourcenar, la raison se cherche… foi et science se combattent, ce qui est de moins en moins le cas de nos jours : il suffit de lire “Dieu et la science” de Jean Guitton et les frères Bogdanov pour s’en convaincre. Son esprit libre, aventureux, toujours en quête, sa curiosité insatiable, Zénon les paiera de sa vie, dans les dernières pages du livre, sublimes et haletantes.

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Marguerite Yourcenar, “L’oeuvre au noir”, éditions Folio, Paris, 511 pages, 1976

Infos : http://www.gallimard.fr

Jean-Marc Grosdemouge