Olivier Todd “Jacques Brel, une vie”

Olivier Todd “Jacques Brel, une vie”

Olivier Todd livrait dans les années 80 un portrait intime de la vie privée et la carrière publique de Jacques Brel. Une biographie documentée et écrite d’une plume vive. Remaniée en 1998, elle reste la plus complète qui soit.

brel todd Tout au long de ce livre très documenté Olivier Todd retrace la vie du Grand Jacques, sans concessions. “Si au bout de mon enquête je trouve Brel laid, bête et méchant, je le dirai” avait-il confié à la famille du chanteur. Et en effet, Todd, sans prendre la pose du juge, s’autorise à parler de tout dans le vie du chanteur, même ce qui fait mal.

Todd peut aller aussi loin dans le détail pour écrire cette biographie autorisée (mais commandée par Robert Laffont et non par la famille du chanteur) parce qu’il a eu accès à des lettres (reproduites telles quelles, c’est à dire avec l’orthographe approximative de Brel) du chanteur et a rencontré sa famille, mais aussi ses amis, et ses collaborateurs. Dans ces paragraphes, souvent entrecoupés de textes de chansons (choisies comme d’intéressant contrepoints au propos de Todd), on suit l’enfance bruxelloise morose de Brel, le rapide passage par la cartonnerie familiale co-détenue avec les Vanneste, les débuts d’amuseur sous le nom de Bérel (Romain Brel, le père de Jacques tenait beaucoup à ce que son nom ne soit pas associé au métier de saltimbanque), les premières chansons dans une veine un peu “boy scout”, puis le départ à Paris où Brel tente sa chance, puis les tournées-marathons presque sans discontinuer.

Todd offre un récit minutieux, et s’arrête parfois sur un thème particulier : Brel et ses rapports à la Belgique (le chanteur a toujours oscilé entre amour et haine pour son pays), Brel et le cinéma (il fut acteur mais aussi réalisateur de deux films), l’aventure de “Don Quichotte”, et la vie privée du Grand Jacques. Todd a même rencontré les femmes de Brel. Les femmes : Brel, marié à Thérèse, dite Miche, en a eu plusieurs. Et même s’il eut des maîtresses (certaines étaient connues de tous, comme la guadeloupéenne Madly Bamy, la dernière compagne de Brel, pour qui Todd semble avoir bien peu de considération), l’artiste est resté fidèle à la première, l’épouse, qui l’a soutenue à ses débuts, Miche. Miche, la femme de l’ombre, l’épouse compréhensive, qui gère la logistique et éduque les trois filles du couple, tandis que l’artiste vit sa vie : en scène ou en studio, sur les plateaux de cinéma, en avion (l’une de ses passions) puis sur son bateau. Miche qui quitte peu Bruxelles, tandis que Brel s’installe à Paris, visite l’Europe grâce à la scène, puis se retire en Polynésie à la fin de sa vie. “Miche, tu laboures la terre, je la passionne !”, lui écrit-il un jour. Brel vit sa passion, sa femme assure les tâches quotidiennes et gère les éditions musicales du chanteur, les Editions Pouchenel.

On découvre dans cette biographie un personnage complexe, un homme qui se cherche : sur les positions politiques ou religieuses de Brel, Todd ne manque pas de souligner en quoi il varie, se contredit, est parfois de mauvaise foi. Brel, c’est “la mauvaise foi et la sincérité, l’outrance et la simplicité.” Un homme qui écrit à ses filles, Chantal, France et Isabelle, qu’il les aime, mais qui se montre autoritaire dans leur éducation, et se fâche parfois avec elles. Ce fut le cas avec France quand il entreprit de faire le tour du monde en bateau : d’abord, il propose cette aventure à sa fille et elle seule, puis embarque Madly. France est vexée, et le voyage sera pénible pour elle. Au delà du portrait de l’artiste, on rencontre un homme entier et complexe. Brel compartimente ses vies, ses amitiés, présente diverses facettes à ses proches. A propos d’un de ses rôles au cinéma, Brel a dit un jour “c’est plus facile d’être un autre que soi.”

On se plait, au fil des pages à chercher le vrai Brel, et l’autre, celui du “mentir vrai”, à guetter dans les actes et les paroles la mauvaise foi et la sincérité. Bref à tenter de déceler la vérité de l’homme ou le jeu de l’artiste, qui se confondent si souvent chez ce chanteur à la vie et à la carrière exceptionnelles à bien des titres.

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Olivier Todd “Jacques Brel, une vie”, Editions 10/18, 2003 542 pages.

Jean-Marc Grosdemouge