Alessandro Robecchi "Manu Chao"

Alessandro Robecchi "Manu Chao"

Ce livre, traduit de l’italien, et originalement sous-titré “musique et liberté”, vaut plus pour sa peinture en pointillé de la scène “rock alternatif” des années 80 que pour la simple biographie de l’ami du sous-commandant Marcos.

De ses débuts dans le garage du pavillon de ses parents à Sèvres, près de Paris, à son couronnement public et médiatique, c’est le parcours de Manu Chao que nous raconte le journaliste transalpin Alessandro Robecchi. La trajectoire de Chao va de Los Carayos à sa carrière solo en passant par la fameuse Mano Negra. Robecchi use et abuse des hispanismes. C’est vraisemblablement un hommage peu discret aux origines du chanteur, qu’on nous présente comme issu d’une famille plutôt politisée tout autant que comme un punk aux influences musicales métissées.

Mais c’est aussi quand il quitte un peu son sujet (auquel il colle au sens propre comme au sens figuré), qu’il nous en dit plus sur les conditions sociales de cette France qui a vu naître le phénomène Chao, que Robecchi étonnee : évoquant les difficultés à marier musique et liberté (c’est à dire liberté de se faire entendre), l’auteur explique les difficultés rencontrées par Manu Chao et la Mano Negra face à la municipalité de Sèvres, et son maire de droite, monsieur Caillonneau, pour faire vivre son association Issue de Secours, installée dans les murs d’une ancienne usine de caoutchouc de la ville. On entend aussi parler dans ce livre des labels alternatifs, et l’auteur rappelle que “alternatifs” ne signifiait pas absence de compétition entre eux. Surtout quand il s’agissait de savoir chez qui signerait un groupe prometteur. Cette biographie est donc plus qu’un CV augmenté du chanteur : c’est une photographie du mouvement alternatif. Et Robecchi pose un regard distancié (normal puisqu’il est italien) sur la scène alternative française.

Un livre complet sur le sujet reste d’ailleurs à écrire. Raconter l’épopée des Bérus, des Ludwig Von 88, des Wampas, d’OTH, des Garçons Bouchers, des Négresses Vertes, de Gogol 1er et La Horde ou de la Mano est une belle entreprise. Qui s’y attaquera ? Robecchi raconte encore l’épopée des bars rocks, qui dans les années 80 virent éclore de nombreux groupes (comme les Wampas) dans des troquets de l’est parisien. Robecchi décrit les descentes de police dans les bars, la nécessité de changer de lieu sans cesse. C’est un peu comme si, définitivement, culture et ordre public ne pouvaient pas faire bon ménage, qu’on butait toujours sur ce problème, sans jamais réussir à le digérer en inventant quelque chose pour surmonter cette dichotomie. En ces temps de sarkozysme, c’est une réflexion intéressante à avoir. Voilà l’un des mérites de ce livre.

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Alessandro Robecchi “Manu Chao”, Editions 10/18, Paris 248 pages, 7,80 euros.

première publication : lundi 16 juin 2003

Jean-Marc Grosdemouge