William Sheller "Epures"

William Sheller "Epures"

Chez certains peintres, les croquis préparatoires sont plus fascinants que la peinture finale. Chez Sheller, les épures, les crayonnés, sont captivants. Treize ans après l’aventure “Sheller au solitaire” (les plus belles chansons de son répertoire jouées au piano solo, plus un inédit, “Un homme heureux” que tout le monde fredonne encore), William Sheller réédite l’expérience. Avec bonheur. Ici, c’est l’inverse : une seule reprise (“Les machines absurdes”) figure au programme, et le public n’a pas été convié. L’album n’en est que plus intimiste.

C’est d’ailleurs toujours dans le registre intimiste -on n’ose pas dire intime, qu’on apprécie Sheller. Ainsi quand en 1998, il publiait un double recueil de chansons (“Tu devrais chanter”, célèbre apostrophe de Barbara à son adresse) qui faisait le point sur une carrière bien remplie (de “Rock’n’dollars” au “Carnet à spirale” en passant par “Les filles de l’aurore” ou “Maman est folle”), c’est un inédit piano-voix, qui retenait notre attention : “Centre ville”. Sheller disait même de ce titre qu’il ressemblait trop à “Un homme heureux” et que bien qu’il le joue sur scène, il avait hésité à le graver sur disque. De même, rééditer l’expérience de l’exercice piano-voix pourrait sembler une redite… ou la tentative d’un ainé de copier la jeune génération (qu’on songe au succès d’un Vincent Delerm en pareille configuration) Il n’en est rien : entre couleurs d’automne et mélancolie sans paroles (“Cantilène”), Sheller délivre quelques chansons lentes dont il a le secret, avec une patte qui ne ressemble à nulle autre. Sa musique sensible nous évoque souvent du Frédéric Chopin triste et moderne, avec des mots d’aujourd’hui. Et sa voix ne se comparera jamais à celle de Delerm, bien qu’on apprécie le jeune Normand. Sheller a un velouté dans le grain de voix, une diction élégante, un swing quasi-immobile qui transforment chaque titre en bijou.
Le comble pour ce grand arrangeur (il reçut même quelques diplômes dans cette matière lors de son passage au Conservatoire), c’est que moins il en fait, meilleur c’est. Si l’enregistrement original de certains titres comme “Fier et fou de vous”, “Oh ! J’cours tout seul” ou les délires symphoniques “Excalibur” ou “Le Nouveau Monde” ont un tantinet mal vieilli, gageons que le sublimissime “J’en avais envie aussi” s’écoutera avec la même délectation dans vingt ans.

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William Sheller “Epures”, 1 CD (Mercury/Universal), 2005

première publication : dimanche 9 janvier 2005

Jean-Marc Grosdemouge