Gabriel Yacoub "Yacoub"
On peut passer son temps à se demander : “existe-t-il une nouvelle chanson française ?” Le mensuel pléthorique et toujours-gentil-avec-tout-le-monde, j’ai nommé “Rolling Stone”, ou Sacha Reins dans “Le point” (vous savez le magazine que votre dentiste et votre toubib lisent) adorent ce genre de question.
Question pratique, qui permet de parler de Sansévérino, Vincent Delerm, Emilie Simon, Benabar, Keren Ann et Benjamin, bla bla bla… Mais question qui en cache surtout une autre, essentielle : “existe-t-il une chanson française ?” Pas “nouvelle”, non, mais la chanson. La chanson tout court… Car avant de faire le tri entre “ancienne” et “nouvelle” chanson, autant se demander s’il existe une chanson ? Réponse personnelle : oui, et le mépris affiché des grands médias pour cette chanson est inversement proportionnel à son intérêt. Autant dire qu’en ce qui concerne Gabriel Yacoub (son papa n’est pas écrivain des “plaisirs minuscules” ni ingénieur du son), l’injustice est grande. A donner envie d’aller baffer un D.A.
Loin de Boucherie Production (le label du Garçon Boucher François Hadji-Lazaro a hélas passé l’arme à gauche), Gabriel Yacoub renoue avec une chanson moins rock. Mais toujours aussi sensible et talentueuse. Yacoub ne parle pas d’Ikéa, de “Cosmopolitan”, de Fanny Ardant ou d’Eric Holder (qui le lit ?), ni des monospaces, ce n’est pas un trentenaire bobo, il ne mâche pas de chewing-gum en scène comme Biolay. Il écrit et compose. Et ne se pavane pas. Ses chansons parlent de dentelles, de dames simples et de sentimaux nobles, de la nature, des oiseaux. Ne cherchez pas de chanson sur internet, les SDF, ou la guerre en Irak ici. La vraie révolte aujourd’hui, c’est la poésie pure, contre les poseurs et les rois de la colère facile et médiatisée. Les paroles de Yacoub, servies par des instrumentations acoustiques, aux inflections baroques ou aux influences celtiques (Ronan le Bars n’est pas loin) n’évoquent pas le refrain : “la société, tu vois, c’est pas cool, j’veux dire…”
Charnelles, intemporelles, ces chansons-là sont inscrites dans la tradition : on songe aux ritournelles traditionnelles qui, par définition, n’ont ni auteur ni compositeur car les noms de ceux-ci se sont perdus. Même s’il restait ignoré, le nom de Yacoub ne s’effacera pas. Et ses chansons, comme “Il pleut bergère” ou “Le temps des cerises” resteront. Pas comme chansons sur les monospaces.
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Jean-Marc Grosdemouge
Gabriel Yacoub “Yacoub”, 1 CD (Elf Production), 2004