Françoiz Breut : smile
C’est jamais le top d’arriver en retard lors d’un rendez-vous pour une interview. Je n’aime jamais ça, surtout quand le rendez-vous a été pris par l’intermédiaire d’une attachée de presse avec qui on travaille beaucoup, et qu’il s’agit d’une artiste qu’on a très envie de rencontrer pour parler de l’album “Une saison volée”. “Ce n’est pas grave”, me dit Françoiz avec le sourire, tandis qu’on m’apporte un café-noisette et que je sors mon enregistreur.
D’ailleurs, s’il fallait préciser “(sourire)” dans la transcription comme c’est la coutume, on l’écrirait à toutes les lignes. Je vous en avertis donc : Françoiz Breut ne se départit jamais d’un joli sourire qui fait d’elle une Joconde moderne, mais une Joconde bien vivante. Et ça, ça ne retranscrit pas avec des mots. Propos recueillis par Jean-Marc Grosdemouge
Françoiz Breut : ce sont les premières interviews que je donne pour la promo de cet album.
Epiphanies : Tu dois avoir à coeur de le défendre. L’an passé, j’ai interviewé Dominique A le jour même où il a appris que Labels t’a rendu ton contrat. Il était furieux. Comment s’est passé la suite pour toi ?
Heureusement je travaille avec Olympic, qui est mon tourneur depuis dix ans. Eux étaient motivés pour produire l’album, ça m’a rassurée. J’ai pensé que ça prendrait peut être plus de temps car c’est une petite structure mais au moins ils étaient contents des maquettes et avaient envie de faire quelque chose.
Ton premier album est sorti chez Lithium, et chez moi, j’ai un coin Lithium. Quand j’ai su que tu sortais celui-ci chez Tôt ou Tard, je me suis dit qu’il a allait s’intégrer à mon coin du label. Tous les disques ont une lune sur la tranche. Mais pas le tien.
Ah oui, mais ça va se faire. C’est juste un petit oubli. Ce sont des détails de logo qui vont se régler ensuite, donc tu pourras le ranger avec les autres disques Tôt ou Tard.
Tu suis beaucoup l’actu du label ?
Non, c’est un label que je ne connaissais pas du tout. J’ai découvert les disques de Lhasa, j’ai été fan du premier disque, puis j’ai découvert ce qu’ils sortaient. Mais c’est surtout une rencontre. Et puis c’est avant tout un disque qui sort chez Olympic et qui est distribué par Tôt ou Tard.
C’est un projet un peu nantais (Olympic est basé à Nantes), même si tu vis à Bruxelles et que tes colaborateurs un peu partout.
Oui, c’est ça. J’ai fait appel à Luc Rambaud, un claviériste à qui j’avais fait appel sur la tournée de mon premier disque, et qui avait travaillé sur le deuxième. Il avait notamment travaillé sur la reprise de la “Chanson d’Hélène”. J’ai voulu retravailler avec lui parce qu’il bricole pas mal avec des samples. Or je n’avais pas une idée très précise du troisième disque, mais j’avais envie de son côté “bricolage”. Je n’avais pas envie de repartir dans l’aspect chanson. Sur le précédent album, avec Dominique (A, NDR), on travaillait guitare-voix pour obtenir les squelettes de chansons. Pour celui-ci, avec Luc, on a procédé autrement. J’ai mis pas mal de temps à récolter toutes les chansons qu’on m’a écrites. Car beaucoup de personnes ont écrit (Fabio Viscogliosi, Jérôme Minière, Fédérico Pellegrini, etc. NDR). Dominique n’en a écrit que deux. Je les faisais écouter à Luc, qui les retravaillait en bricolant les samples. C’est un claviériste, pas un guitariste, donc il les travaille à sa manière.
C’est lui qui apporte ce son pas très “chanson française”, un son riche ? On te verrait mal faire un album piano voix.
J’aimerais bien. J’ai envie de tellement de choses différentes… C’est tout à fait faisable aussi. J’aime bien les choses sobres, pas ce qui est trop rempli. Mais en tout cas, pour ce disque, j’avais envie de petits éléments piqués à droite à gauche. Je ne sais même plus ce qu’il a utilisé au final, mais Luc a pioché dans des disques instrumentaux des années 50 plutôt kitsch. Je n’ai plus les noms en tête, mais il a une discothèque riche, et puis musicalement, on écoute plein de trucs différents. On s’est fait découvrir des choses mutuellement. Mais j’aimerais bien faire un truc guitare voix, super sobre, c’est envisageable.
L’album est un vrai patchwork d’ambiances : du rock, des ambiances à la Calexico. Tu as voulu quelque chose d’éclaté ?
Je ne sais pas si c’est vraiment voulu, tout ça. J’avais peur du manque d’unité, qu’il y avait des univers si différents. Mais on joue avec le même groupe, qui a son propre son. J’espère que l’unité est là. Elle est là quand même. ce sont les morceaux qui ont voulu que ça parte dans des directions différentes, mais ce n’était pas prédéfini. Comme je ne suis pas musicienne, tout le travail se fait en groupe, quand chacun apporte sa pierre, apporte ces idées. C’est là que tout se fait, c’est ce qui est difficile aussi : difficile à gérer, à concentrer, à faire que se crée une unité.
Il y a un fil rouge, c’est une sorte de douce tristesse. Je trouve qu’en chanson comme ailleurs, c’est un sentiment très sous-estimé. Finalement, avec toi, ça devient quelque chose d’agréable, pas misérabiliste… Tu évoques les sujets tristes par petites touches
C’est vrai. Je ne voulais pas quelque chose de pesant. Il y a des choses plus rythmées que sur les précédents albums, c’est plus chanté.
Quand tu chantes “je suis toutes les femmes”, ça ne ressemble pas à l’idée qu’on se fait de toi.
Ca c’est dans “La boite de nuit” (rire), j’essayais de retrouver dans quelle chanson c’était ! C’est assez difficile pour moi de parler de ce disque, il faut que je me replonge dedans ! Ca commence à dater : le disque a été enregistré il y a un an. On a rôdé les chansons sur scène depuis, mais il faut que je me rafraîchisse la mémoire, même si j’ai réécouté l’album. C’est pour ça que les bribes de phrases… là, j’étais en train de penser “La femme sans histoire”. Si j’ai fait appel à tous ces auteurs-compositeurs, c’est qu’ils ont tous leur manière d’écrire… du coup, même si les univers se recoupent parfois, il y a plein de directions.
Du coup, c’est ta voix qui crée l’unité. C’est vraiment un disque d’interprète, au sens pur du terme : on t’apporte des chansons et tu les fais vivre. Est-ce que tu donnes des indications ?
Au départ, je voulais faire quelque chose sur les villes, parce que comme j’ai beaucoup déménagé, j’ai été obligée de changer d’endroits, et c’est un thème que j’avais déjà traîté, comme avec “Le don d’ubiquité”. En plus, chez les Français comme chez les Anglo-Saxons, j’aime beaucoup les chansons qui parlent de ville. Ca peut parler d’amour ou de n’importe quoi. on est tellement imprégné par une ville, de ce qui peut s’y passer, que cela peut donner plein de sujets différents. Au départ, quand j’ai contacté les gens, je leur ai dit “est-ce que vous pourriez écrire quelque chose sur une ville et que ça parte dans diverses directions ?” C’est la première fois que je donnais des indications, avant je laissais Dominique et tout le monde faire leur truc. En tout cas, au début, je voulais vraiment un concept-album.
Que Jérôme Minière écrive sur Montréal…
Je ne leur demandait pas forcément d’écrire sur leur ville de résidence. Du coup, lui a fait “une ville allongée sur le dos”, un ville idéale, puisque le couple se déplace, mais ne trouvera jamais cette ville imaginaire. Fédérico Pellegrini des Little Rabbits a écrit “Quitter Bruxelles”, plutôt ambiance polar avec une référence au Congo Belge, mais ça ne m’allait pas du tout. Elle lui va mieux à lui. Mais le thème était super bien : pour une fois, ce n’était pas une chanson s’amour. Et j’avais envie de m’échapper de ça : les histoires qui finissent maaaaal, les relations de couple. Bien que ce soit quelque chose qui revient beaucoup. Philippe Katerine a fait un titre sur les paradis perdus, dont on n’a malheureusement pas réussi à faire quelque chose. Du coup, des chansons nées suite à mes instructions, il ne reste que “Ciudad del mar” et “KM 83”.
Tu n’as pas tenté la reprise de “Je suis un ville dont tout le monde est parti”. C’est de Dominique A ?
Oui, sur l’album “Remué”. Il y en a plein des chansons. Je pense à “Barcelone” de Boris Vian. Je ne sais pas si tu connais.
Je l’ai entendue, mais par un autre artiste. Il y a aussi Göttingen, Vienne…
En anglais, il y a Cab Calloway qui chante sur San Francisco, il y a des chansons sur des villes sud-américaines. Ce concept-album reste un projet…
Finalement, la reprise est un titre de Françoiz Hardy, “Le premier bonheur du jour”. C’est d’ailleurs marrant parce que tu portes le même prénom qu’elle et tu as été comparée à elle. Cette chanson est très réussie car elle parle de l’absence de l’être aimé, de la vacuité, de la tristesse, en étant très éliptique. Elle ne dit pas “je suis seule”. Tu la reprends de manière plus sombre que l’original.
En fait je ne connaissais pas la version de Françoise Hardy. J’avoue que ce n’est pas une chanteuse que je connais très bien. Elle est plus de la génération de mes parents. Mon père est fan d’Hardy. C’est peut-être d’ailleurs pour cela qu’ils m’ont appelée Françoise. Je connaissais la version d’Os Mutantes, un groupe brésilien, avec des choeurs, une version pas sombre. Je trouvais le texte un peu cul-cul : la femme dépendante de son homme, qui attend. Je la chante au second degré. Je l’ai d’ailleurs illustrée…
C’est vrai que tu es graphiste. Tu ne serais pas du genre à attendre en te morfondant ?
Non. (rire) Dans la chanson, c’est la femme des années 60, qui s’ennuie, et ne vit qu’à travers son homme. Justement, dans l’illustration que j’ai fait, elle a un amant. (Françoiz sort un mini-livret. On y voit la femme appeler son amant, qui la rejoint) C’est mon interprétation. C’est ce qui est bien avec une chanson : on peut avoir quinze mille interprétations différentes.
Dans le même album, on a la version fidèle de la chanson, où la femme, justement est fidèle à son mari, et l’illustration, où elle ne l’est pas. Tiens, sur le dessin, même le chat se rend compte que le mari rentre…
“Mais bien vite tu reviens / Et ma vie suit son triste cours.”
C’est toi qui dit “triste”. Ce n’est pas dans la chanson. Finalement, c’est un résumé express de l’effondrement des valeurs sur une période de quarante ans (sourire). Tu transformes cette femme qui attend sagement l’homme parti gagner le pain quotidien en une femme adultère… (sourire)
Ben voilà. (rire)