“L’ami. Saint François d’Assise et ses frères”, âpre et lumineux
Avec ce « Land and Freedom » médiéval, Fely et Louvet signent un film âpre et lumineux où la figure de l’Italien sanctifié disparaît derrière un homme à la fois simple et complexe. En frère mineur, Rénier s’impose en acteur majeur.
Il y a trois ans, en devenant Pape, l’Argentin Jorge Bergoglio a pris le nom de François. Par là, le premier pontife issu du continent américain, et homme aux idées tiers-mondistes, a remis en lumière la figure de Saint François, qui est bien plus que celui qui prêchait les animaux.
Il faut une bonne dose de confiance en soi pour songer : « tiens, depuis Rossellini, on n’a plus fait de film sur Saint François d’Assise » puisque “Les Onze Fioretti de François d’Assise” date de 1950. Mais ce qui a guidé les deux réalisateurs est peut-être tout simplement la foi, et le fait que le message du saint italien (respecter la nature, considérer les animaux comme nos frères), est d’une actualité frappante.
Le film s’ouvre sur une scène d’un très grande tendresse, de François (Elio Germano) au milieu d’un champ, servant de perchoir vivant à de petits volatiles dodus. C’est la seule « carte postale » que s’autorise le film. Une scène à la superbe lumière, mais on y reviendra.
On plonge ensuite, de minute en minute dans un drame psychologique en suivant la vie dénuée de ces frères, qui vivent dans des cabanes de branches, prennent des repas frugaux, recueillent des enfants, et chantent en s’époumonant. Et l’on comprend qu’avant 2013, aucun pape n’ait souhaité se réclamer de François d’Assise : ce que dépeint le film, c’est un fils de famille en rupture de ban, un doux exalté qui prêche la pauvreté et est en passe de devenir hérétique aux yeux de l’Eglise catholique et du Pape d’alors.
Rentrer dans le rang ?
François a écrit une règle pour son ordre, mais Rome lui demande de la réécrire. Tout juste leur accorde-t-on encore le droit de prêcher mais il faudra trancher : rentrer dans le rang ou pas ? François ne veut pas toucher une ligne, louvoie, tandis que son ami Elie (Jérémie Renier) souhaite qu’il amende son texte pour protéger l’ordre.
Si un compromis n’est trouvé, François perdre l’ordre, qui sera dispersé, l’Eglise perdra François, qui n’aura plus que quelques lignes dans les livres d’histoire, celles d’un fils de famille qui a dilapidé son héritage en aumônes, et a vécu seul, dans la nature, parmi les bêtes sauvages. Pas d’encyclique « Laudate si » sur l’écologie huit siècles après, pour réactualiser son message comme jamais auparavant.
Comme pour « Titanic », on connait la fin depuis longtemps. Elle est gravée dans les livres. Ce qui est intéressant, c’est de voir comment cela se joue, quelles sont les rivalités d’opinions. Et puis le film nous met en prise directe avec les Frères mineurs, la rudesse de l’époque qui fait écho à la nôtre.
« L’ami » est un film âpre et lumineux, même si parfois, dans les scène de nuit ou dans les grottes, on distingue à peine les visages des protagonistes (le directeur photo a du étudier De La Tour ou le clair-obscur). Qu’on soit croyant ou non, « L’ami » est un film à voir, ne serait-ce que pour assister à la mue de Régnier, barbu mais pas hipster, à cent lieues des paillettes de « Cloclo » ou de la tête à claque de « Dikenek ». En frère mineur, Régnier s’impose en acteur majeur.
La force de ce film, c’est que le saint y apparaît comme un homme dans toute sa complexité humaine et doctrinale, avec ses doutes. Il est dans le « comment on fait ? » en permanence. On a l’impression de suivre un groupe de révoltés, comme dans « Land and Freedom » de Ken Loach. Des gens portés par un idéal, mais devant composer avec le contexte pour mener un combat. Ce film à la diffusion ultra modeste sera sans doute « sauvé » par le circuit des cinémas-conférences chrétiens, mais toute personne qui se sent acteur de son époque et de la destinée de la planète peut le visionner avec profit. François d’Assise est un rebelle et les rebelles devenus saints ça existe. François apparaît comme simple et complexe : simple parce qu’il ne négocie pas sa manière de vivre sa foi. Quelque chose de plus grand que lui l’appelle au dépouillement. C’est aussi ce qui en fait un personnage complexe.
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