Denez Prigent "Irvi"
Après le très réussi “Me ’zalc’h ennon ur fulenn aour” (“Mon cœur est empli d’or” en breton) en 1998, Denez Prigent signe avec “Irvi” un album aérien, entre apesanteur électronique et tradition vocale du gwerz (le chant breton, aux sonorités un peu gutturales). Un album qui n’hésite pas non plus à parler à nos pieds, les invitant à faire une ronde.
L’irvi est un nom intraduisible en Français, qui signifie “le chemin qui relie une île à un continent ou à d’autres îles à marée montante ou descendante”. Bref, un chemin que découvre la marée, et qui par conséquent n’est pas accesible à chaque instant, voilà le chemin que nous propose Denez Prigent. Un chemin qui se mérite. Arnaud Rebotini (plus connu sous le nom de Zend Avesta) était en charge des beats électroniques sur le précédent album de Prigent. Zend Avesta (qui a sorti depuis un formidable album solo, “Organique”) laisse sa place à Elegia (un artiste F Communications), alias Laurent Collet.
Outre le bidouilleur de chez F-Communications précédemment cité, cet album a reçu le concours de nombreux musiciens connus : Bertrand Cantat, le clarinettiste Louis Scalvis (compositeur de la musique du film de Bertrand Tavernier “Ca commence aujourd’hui”), et l’ex-chanteuse de Dead Can Dance, Lisa Gerrard. La Bretagne, terre de contraste (rire) et de mélanges musicaux, est une vraie réalité : le légendaire harpiste Alan Stivell a depuis quelques années entrepris de dépoussiérer son répertoire en collaborant avec de nombreux musiciens, venus d’un peu partout (puisqu’il a collaboré avec des artistes africains comme Doudou N’Diaye Rose), et fort de deux albums, les Rennais de Kohann marient trip hop et chant breton. Entre barde relooké ou délires arty de jeunots, point de chaînon ? Si : Denez Pigent est ce maillon ; il est un pont entre tradition et modernité. “A drenv va zi” est supporté une légère rytmique jungle, et par l’uilleann pipe et le low whistle (des instruments à vent) de Davy Spillane. Ambiance village global (sur “Ar Warizi”, on entend de l’oud, instrument fort répandu dans la musique d’Afrique du Nord), et fest noz digital.
Que les morceaux qu’il interprète soient lents et planants (ambiance Sigur Ròs, Dead Can Dance sur “Gortoz a ran”, “Melezourio-glav”, “Hent eon”), ou plus enlevés, comme des danses de fest noz (“Ar mab-laer”, “Evit Netra”, “Ar chas ruz”), Prigent magnifie sa langue. L’un des sommets de l’album est le titre “Daouzek hunvre”, interprété en duo avec Bertrand Cantat. Les sonorités bizarres de la langue bretonne, comme une imprécation, et les inflexions, le ton volontaire de Cantat, en français, se marient pour un résultat surprenant, qui ressemble à de la musique contemporaine, à de la poésie récitée… Les notes de pochette ne proposent pas de traduction in extenso des paroles, mais en musique, il n’est pas besoin de parler la langue pour se comprendre.
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Denez Prigent “Irvi”, 1 CD (Rosebud/Barclay), 2000
en concert au Pan Piper (Paris) le 29 mai 2017 à 20h
2-4 Impasse Lamier 75011
Première partie : Marion Mayer (folk)
[youtube https://www.youtube.com/watch?v=9977D9q1yw8?ecver=1&w=560&h=315]