Yves Bigot "Plus célèbres que le christ"
Déjà édité une première fois sous le titre “Au nom du rock”, ce livre ressort dix ans plus tard, augmenté de dix nouveaux portraits. Soit cinquante rockstars interviewées, pour fêter le demi-siècle du rock. Et vérifier s’il bande encore.
Yves Bigot a l’âge du rock, l’âge “où l’on bande encore et l’on comprend pourquoi”. Ce touche à tout a tâté de la radio (à Europe 1 en tant que journaliste et animateur, à France Inter en tant que programmateur), de la télé (il fut rédacteur en chef des “Enfants du rock” et de “Rapido” avant de prendre la direction des programmes de France 2, poste qu’il occupe actuellement), de l’industrie du disque (Fnac Music, Mercury) et de la plume. Avec cet ouvrage, il cherche à comprendre pourquoi le rock bande encore… et le fait bander.
Le journaliste, qui a officié chez “Libération” ou “Rolling Stone” (celui de Lionel Rotcage puis celui d’Yves Bongarçon) est aussi un historien du rock : pas du genre exhaustif (même s’il a participé à la colossale entreprise du dico de Michka Assayas), plutôt du genre “Tintin au pays du sex, drugs and rock’n’roll”. D’ailleurs comme le héros belge à la houpette, Bigot est journaliste, pas critique de rock. Lou Reed lui-même lui en a fait le compliment lors d’une interview. Le natif de Saint-Tropez -ça doit aider à la vocation de fréquenter les vedettes de la musique, se révèle souvent émerveillé de se retrouver face à telle rockstar, ou tout simplement au téléphone avec Bob Dylan. Parfois, il est dans ses petits souliers : c’est le cas face à Miles Davis, dont le portrait ouvre le bal, plus susceptible que jamais. Le choix de Miles parmi les rockers surprend, mais le trompettiste refuse -et avec quelle véhémence ! le terme de jazz pour sa musique, parce qu’il y voit une pointe de racisme de la part des “Blancs” envers les “Noirs”.
Bigot ne plonge pas dans sa discothèque (ce livre n’est pas un guide d’achat) mais dans ses souvenirs. Ainsi, il déroule des dizaines d’anecdotes sur chacune des rockstars, qu’il a parfois rencontrées plusieurs fois, tantôt pour la radio, tantôt pour la télévision, mais aussi en tant que patron, comme lorsqu’il travailla avec Mark Knopfler alors qu’il dirigeait Mercury. Si les femmes sont aussi sous-représentées dans le livre que dans le rock en général (Patti Smith, Chrissie Hynde et Joni Mitchell sont les seules rescapées), certains groupes sont bien traités. Robert Plant et Jimmy Page de Led Zeppelin ont chacun droit à leur portrait et pour en savoir plus sur les Rolling Stones, on lira en enfilade les pages sur Bill Wyman, Mick Jagger, et Keith Richard.
Il en va de même pour les Beatles : Bigot traîte séparément Paul Mc Cartney et George Harrison. Dommage que John Lennon ne soit pas présent : ce livre doit son titre à sa célèbre de phrase de 1966 selon laquelle les Beatles seraient “plus populaires que le christ”. On peut en revanche s’interroger sur la présence de Willy Deville, qui n’arrive qu’à la cuisse (à défaut de la cheville) du plus célèbre crucifié de l’histoire. Malgré l’importance de Deville (que je ne conteste pas, d’autant qu’il est le premier rocker que j’ai vu sur scène, c’était en 1992 au Montjoye à Besançon), on n’est peu douter qu’il fasse partie des cinquante artistes de la galerie ultime du rock… tout comme le groupe Guns N’ Roses, qui figure au tableau de chasse journalistique de Bigot.
Ce livre, comme tous les livres écrits sur le rock ou presque, est subjectif. Ce n’est pas une galerie tout à fait complète. Si le King est excusé puisqu’il n’a jamais pu donner d’interview à l’auteur, parce qu’il est mort avant que Bigot ne commence sa carrière, on se demande en revanche où sont des rockers aussi essentiels que Jerry Lee Lewis ou Chuck Berry. Non exhaustif, “Plus célèbres que le Christ” est en revanche un livre de passionné. Mais accessible à tous : ceux qui ont connu le rock en 1954, leurs enfants. Et leurs petits-enfants… si ça les intéresse, toutefois. Car pour qui a quinze ans et écoute du rap, celui qui en plus de trente et écoute du rock frôle de peu l’adjectif de “croulant” dont les yé yés aimaient flétrir leurs aînés. Ce livre se révèlera aussi un précieux guide pour les journalistes rock. Avec en filigrane, un conseil à tous les futurs reporters : dans la presse, encore plus qu’ailleurs, ça sert d’avoir des amis.
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Yves Bigot “Plus célèbres que le christ”, Editions Flammarion, Paris, 432 pages, 19,90 euros.
première publication : dimanche 10 juillet 2005 sur M-la-Music.net