Nick Tosches : il était une fois l’Amérique
Nick Tosches est peut être l’historien des cultures populaires le plus déjanté qui soit. La preuve par trois grâce à quelques un de ses livres. En allant voir se qui se cache derrière la légende Dean Martin, ou en se mettant sur la piste d’un artiste inconnu du nom d’Emmett Miller, ce fin limier de Nick Tosches se fait défricheur des marges. Et des marginaux de la culture. Le tout avec une plume d’exception.
“Dino” (Rivages)
Crooner, acteur de cinéma, séducteur, Dean Martin a tout fait. Rendu célèbre par son duo avec Jerry Lewis dans les années 50, Martin incarne la réussite à l’américaine. Mais qui est-il vraiment ? C’est leêve américain dans toute sa contradiction, répond ce livre : Dino est un homme secret. Il faut dire qu’il charme tout le monde : agents véreux, membres de la Mafia, stars, hommes politiques et bien sûr… les femmes sublimes. Les liens pègre/show-biz sont étudiés ici. Ce que l’on apprend aussi, c’est que Dino est un menefreghista, un “type qui n’en a rien à foutre”. “L’avènement du phonographe et du kinétoscope a façonné les goûts de l’Amérique populaire, écrit James Elroy. Dino l’a compris, et lui qui n’a guère de passion pour les études, qui adore chanter et a découvert les trafics en tous genres à l’époque de la Prohibition, devient un rouage de la fabuleuse machine à fabriquer des rêves. Dino n’est pas une simple biographie. A travers la vie d’un personnage hors du commun, c’est l’histoire de la culture populaire américaine qui se dessine, racontée avec une virtuosité stylistique où le lyrisme côtoie les images crues et provocantes.” Voilà un tableau saisissant de l’Amérique contemporaine.
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“Blackface” (Editions Allia)
Tout commence quand Nick Tosches tombe par hasard sur un disque enregistré dans les années 30 par un artiste dont le nom ne lui était inconnu, Emmett Miller. Cette voix, cette musique, le déboussolent : ce n’est ni de la country, ni du blues, pas plus du jazz. Cette musique n’est ni noire ni blanche : c’est l’alchimie de tout cela. Nick Tosches y voit l’expression ultime de la culture américaine. Tel un Sherlock Holmes moderne, il se lance dans une quête qui va durer plus de vingt ans. Et découvre qu’Emmett Miller participait à des spectacles de ménestrel blackface, où des Blancs se grimaient en Noirs. Tosches, qui n’est pas du genre à limiter ses travaux en profite pour traverser l’histoire de la musique américaine, et nous emmène en balade dans le pays, dans les boui-bouis du Sud profond ou les clubs de Broadway. Et en vient à conclure que les actuels les clichés du gangsta rap ne sont pas bien éloignés de ceux du “bon nègre” de l’époque de Miller.
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Jean-Marc Grosdemouge
“Dino. La belle vie dans la sale industrie du rêve”, Rivages Noir, 525 pages.
“Blackface”, Editions Allia, 320 pages.