Arthur Lochmann, charpentier philosophe

Arthur Lochmann, charpentier philosophe

Un étudiant en philo qui lâche la fac pour devenir charpentier ? En France en plus ? ce pays qui sous-estime le travail manuel ? Impensable, et pourtant l’histoire d’Arthur Lochmann est vraie. 

Voilà qui donne envie de lire.

Contre l’innovation galopante

En démarrant  « La vie solide » on ne peut s’empêcher de penser à Zygmunt Bauman et à sa « vie liquide » qui décrit le capitalisme de l’innovation qui fait de la disruption une valeur cardinale et la tradition une vieille baderne dont il faut se débarrasser à tout prix. Seulement voilà, comme le demande Stiegler, dans la disruption comment ne pas devenir fou ? En suivant Lochmann, apprenti dans une école compagnonnique, de chantier en chantier. Au détour d’une page le mot « mélèze » m’a renvoyé à mes années d’enfance et au premier roman « pour grandes personnes » que j’ai lu au primaire : « Premier de cordée » de Roger Frison-Roche. En alpinisme comme en charpente on est près du ciel et il s’agit de ne pas se rater.
Au-delà des descriptions techniques, des termes savants (le monde des charpentiers est plein de termes spécifiques et de traditions), Lochmann pense le geste : comment c’est à la fois une question d’intellect et de corps, qui agit presque intuitivement. Une manière plaisante et constructive (c’est le cas de le dire) de se confronter à la réalité.

Penser le geste

On découvre aussi la camaraderie telle qu’elle se vit sur un chantier, comment les gens se comprennent sans se parler, et cette symbiose qui fait que le travail des uns et des autres tend vers un seul but : un toit où la ligne de perspective est nickel. Car il en va de l’honneur de l’artisan : son toit, qui survivra souvent à sa carrière pro, doit lui survivre et résister le mieux possible au temps. Etonnamment sur un chantier, où les erreurs individuelles peuvent exister, il n’est jamais question de personnaliser une « faute » en l’attribuant nommément à untel : le travail des uns et des autres corrige les éventuelles erreurs et tout le monde est tendu vers un seul objectif : la charpente qui « biche » c’est-à-dire que chaque pièce assemblée constitue un résultat satisfaisant. *** Jean-Marc Grosdemouge Arthur Lochmann “La Vie Solide, la charpente comme éthique du faire”, éditions Payot (collection Petite Biblio Payot Essais), Paris, 2021, 179 pages. Infos : le site des éditions Payot-Rivages

Jean-Marc Grosdemouge