Sting "Broken Music"
Dans ses mémoires, joliment écrites, Sting raconte son enfance dans le nord de l’Angleterre, son adolescence passionnée par la musique, son envie de réussir, et les débuts de sa vie d’homme, jusqu’aux débuts de Police.
Nous sommes en 1987. Sting est au Brésil pour une tournée, qui doit passer par le stade de Maracana. Un soir, dans la jungle aux alentours de Rio de Janeiro, il participe en compagnie de sa femme, l’actrice Trudie Styler, à une expérience mystique : il consomme l’ayahuasca, une décoction de plantes locales aux vertus psychotropes. Le chanteur vient en effet de perdre tour à tour sa mère, la jolie Audrey, et son père, Ernie, laitier de son état. Un “besoin de communication spirituelle, d’une expérience qui puisse l’aider à accepter que la tragédie de la mort n’est pas une impasse définitive” étreint Sting. Et c’est ainsi qu’il raconte comment la prise de ce breuvage le replonge dans des souvenirs de son enfance, dans le nord de l’Angleterre, à Newcastle, plus précisément à Wallsend, pas très loin de l’antique mur d’Hadrien, construit par les Romains. Un coin où l’on construit des bateaux, et où le quotidien est encore bien pauvre à la fin des années 50.
Sting redevient Gordon Sumner, raconte les tournées de distribution de lait, au petit matin, en compagnie de son père, un homme du genre taiseux. Et il dévide patiemment l’écheveau, avec un style certain, pas mal de références littéraires (Jung, ou Edmond Rostand bien sûr), spirituelles (on sent le chanteur très concerné par ces questions), et bien sûr musicales. On découvre Le Dard (un surnom qui lui a été donné un jour où il portait un pull rayé comme celui qu’il arbore sur le couverture du livre) grand amateur de jazz, et il raconte ses premiers groupes (comme Last Exit), les petits boulots et les cachets misérables des débuts, la nécessité de trouver un vrai job (ce sera instituteur), tout en continuant la musique. Puis c’est la rencontre avec l’actrice Frances Tomelty (qu’il épouse, et qui met au monde le petit Joe), et le départ à Londres et les grands rêves de gloire que la capitale nourrit en lui. La rencontre-clé de sa vie, celle avec le batteur Stewart Copeland, n’arrive qu’au bout de deux cent pages. Sting dit d’ailleurs tout le mal qu’il pense de cette famille américaine. Le père, ponte de la CIA, a participé à pas mal de coups pas très recommandables sur la planète. Miles, le frère de Stewart, et manager, est un brin arriviste, mais il gère bien les affaires du groupe. Quant à Stewart, c’est un musicien uniquement préoccupé par le fait d’être le batteur le plus véloce du monde, et il assure sa promo en écrivant de fausses lettres de fans au journal “Sounds”.
On suit les débuts de Police, avec une description croquignolesque de son premier guitariste, le Corse Henri Padovani, sympathique (ils vécurent pas mal de “vraiment moments” ensemble) mais pas bluffant techniquement, vite remplacé par Andy Summers, jusqu’à la sortie des singles “Roxanne” et “I can’t stand losing you”. La fin du groupe, qui s’est opérée en 1983 dans une tension extrême entre les trois membres (Copeland avait même écrit “FU” et “CK” sur les toms de sa batterie, ce qui faisait que sur scène, il voyait le mot “Fuck” quand il avait Sting en ligne de mire) est expédiée en deux pages à peine. On sait que le noeud de l’affaire était une sombre histoire de partage des droits d’auteur. “La disparition de Police a coïncidé avec l’éclatement de mon univers familial” explique Sting : sa mère meurt d’un cancer, puis son père en développe un peu de temps après, qui le terrassera. Sting quitte Frances pour Trudie, et nous les retrouvons, quelques pages plus loin, dans leur vénérable manoir, fortune faite, pour un joli épilogue, qui nous ramène vers les premières pages, l’expérience mystique eu Brésil. Jolie manière de boucler la boucle.
Sting, en tout cas, développe page après page un joli style. Ce n’est pas, on s’en rend compte, une vedette à la tête vide, mais bien un être sensible, un artiste qui prie, un amoureux qui mène tant bien que mal sa vie sentimentale. De quoi donner envie de se pencher à nouveau sur la musique de cette pop star.
texte et photo : Jean-Marc Grosdemouge
Sting “Broken Music. Mes mémoires”, Editions Robert Laffont, 300 pages, 2004.
Première publication de cet article : 12 juillet 2004