Peter Shapiro “Turn the beat around”


Peter Shapiro “Turn the beat around”



Un mouvement musical qui n’exprime aucune revendication précise, qui ne porte aucun message politique ou social, aucune protestation tangible est-il forcément synonyme de vide ? Certainement pas, comme le prouve cette brillante synthèse consacrée… au disco. Méfiez vous des paillettes semble dire Peter Shapiro : elles sont un vernis.

Alors, il faut gratter. “Réduite à des images d’agnets de change en costume sport et de jeunes filles en hauts moulants prêtes à prendre du bon temps, la mémoire contemporaine de la disco ne sert qu’à camoufler, avec une perruque afro et des colorants arc-en-ciel, la douleur vécue pendant ce qui fut l’une des plus dures décennies de l’histoire américaine”, explique Shapiro.

C’est dans un New-York en pleine déliquescence que commence ce livre. C’est là, dans les boites et les saunas gays que va naître la disco, culture “née de l’affranchissement des fers de répression, de la surveillence et de la pathogilisation”, mouvement musical fortement sexuel, entretenant un rapport trouble à la virilité, qui met en avant le corps et l’anonymat, et qui ne cessera d’incarner une sorte de quête de la perfection… et brassera jusqu’à 4 à 5 milliards de dollars à la fin des années 70.

Peter Shapiro présente les lieux (“premier genre à entretenir des liens aussi intimes avec le monde des clubs (…), la disco se mit à couvrir l’ensemble des relations sociales), les acteurs comme les producteurs ou les DJ, ces derniers étant d’ailleurs quasiment tous d’origine italienne, replace la disco dans le continuum soul. C’est juste après avoir présenté Henri Belolo et Jacques Morali, démiurges des Village People, que Shapiro annonce la mort du disco, et sa “désinfection” : “on pouvait maintenant l’utiliser en toute sécurité (sic) comme fond musical pour publicités automobiles et flashes d’information”.

En 1977, le rêve des années 60 est “incinéré” par la panne d’électricité qui frappe Big Apple, entraînant émeutes et pillages, et nait le hip hop : “le hip hop s’intéresse exclusivement à l’individualité et ses acteurs font tout pour sortir du lot”. Il a “émergé au moment même où l’Amérique abandonnait ses projets de démocratie sociale”. Si la disco retourne à l’underground (on appréciera alors les portraits de François Kevorkian et Arthur Russell), elle continu_e de plus belle, ailleurs, vidée de son contenu trangressif. L’auteur développe alors une thèse originale “Non seulement la musique disco n’est jamais morte en Europe, explique-t-il, mais elle n’y fut même pas signalée sur les radars comme elle l’était outre-Atlantique : elle faisait partie de la routine, comme le reste”, alors que dans son pays d’origine, la disco, “musique populiste” et “américaine par excellence” a pu incarner une sort d’utopie dans un monde touché par la crise. Très vite, en angleterre allait naître, également sur le terreau de la crise, le punk.

Le punk n’a rien à voir, répondront les esprits obtus qui voient dans ce mouvement un message politique et social, porté par une esthétique un brin libertaire (le slogan “do it yourself”) alors que la disco n’est censée être qu’un divertissement glamour sans aucun contenu subversif. Opposer ces deux mouvement s’avère au contraire vain pir Shapiro : “le punk et la disco, explique-t-il, ont souvent été considérés comme des ennemis jurés. Mais en vérité (…) les deux courants célébraient le spectacle offert par le cadavre gonflé et pourissant du rock”.

Encore une fois, les éditions Allia, qui ont à ce jour traité à peut près tous les courants majeurs de la musique depuis cinquante ans (le rock, la soul avec Peter Guralnik, le hip hop, le punk, et la musique électronique avec un livre auquel a collaboré Shapiro, “Modulations”) prouvent que c’est en traitant un mouvement musical dans son contexte social et pas seulement en alignant les ouevres, que l’on e saisait l’essence même.

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Peter Shapiro “Turn the beat around”, Editions Allia, Paris
, 428 pages, 25 euros.

première publication : dimanche 25 janvier 2009

Jean-Marc Grosdemouge