Des “scènes de la vie conjugales” anti-Hitchcockiennes
On savait grâce au film “Victoria” avec Virginie Efira et Adèle Exarchopoulos, que Justine Triet sait savamment emmêler un écheveau narratif et jouer à fond le double/trouble jeu des personnages en scrutant à fond leur psychologie, et cela se confirme avec cette “Anatomie d’une chute”, récompensée d’une Palme d’Or ce printemps à Cannes.
Et chute il y a : celle d’un homme dans un chalet. Comment ? Pourquoi ? Nul ne le sait, ni Sandra (Sandra Huller), ni son fils (Milo Machado Graner, un gamin incroyable qui crève l’écran), ni la gendarmerie… Sandra fait appel à un vieil ami avocat (Swann Arlaud) et en moins de deux nous voilà embarqués dans une affaire ultra-complexe et l’on reste vissé à son siège, en voulant en savoir plus. A la fin du film, on comprend bien qu’on restera avec tout le paquet de questions morales que le film a fait naître en nous. Car on ne le verra jamais cette chute.
En cela, Triet est une anti-Hitchcock, dont le parti pris était de montrer le tueur aux spectateurs afin de rendre le spectateur complice. Chez Hitchcock le malaise vient de ce que l’on sait qui est le tueur, chez Triet il vient de ce que l’on ne sait rien… même quand le film est fini.
Dans un art où il est question de montrer, la réalisatrice française, elle, ne filme que ce qu’elle veut bien montrer. Comme le personnage complexe de Sandra, qui est romancière et choisit de méler des éléments de sa vie privée à des oeuvres de fiction. C’est à une réflexion sur l’intime, sur les nons dits dans un couple, que nous convie ce film. Pas étonnant qu’une scène cruciale nous fasse penser à une dispute de “Scènes de la vie conjugale”. Car peu de gens ont su parler avec autant de brio du couple depuis Bergman.
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